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conserve encore à peu près le caractère et l’esprit que Belli lui connaissait, l’apparence sociale de ce peuple s’est modifiée, l’aspect de la vie s’est transformé. L’Eglise et la Cité ne sont plus unies dans un même destin et confondues sous l’empire des mêmes traditions et des mêmes hommes. Les fêtes religieuses n’occupent plus autant de place dans l’existence des humbles ; Rome ne les contemple plus d’un seul regard et d’une seule pensée ; dépouillées en grande partie de leur pompe, plus rares, plus isolées, plus secrètes, le souvenir splendide s’en éteint peu à peu dans les imaginations, qui les regrettent peut-être. C’est pourquoi l’œuvre de Belli n’a pas seulement l’attrait d’une représentation exacte du réel, mais, pour nous, le charme aussi d’une vision du passé. Elle rappelle et elle suggère une forme de vie qui n’est plus. C’en est assez pour attirer l’historien que les faits desséchés dans l’herbier des archives ne satisfont pas, et qui aime, pour les comprendre en les sentant mieux, à respirer l’atmosphère même qu’ils ont imprégnée de leur esprit et dont ils se sont comme nourris.

Faut-il ajouter qu’il trouve dans l’œuvre de Belli autre chose encore que l’évocation de celle société curieuse et unique, de cet état social si complexe qui a pris fin en 1870 ? Il serait étranger que les événemens politiques ne fussent pas inscrits dans ce Journal du peuple romain, rédigé par le poète sous la dictée des passans. Et en effet, non seulement il y a consigné les sentimens religieux et politiques de ce peuple à l’un des momens les plus critiques de son histoire, aux environs de 1840, avec les traits de mœurs les plus caractéristiques de la race et de l’époque, mais encore il s’est trouvé naturellement conduit à y noter tous les événemens importans du dedans et du dehors dont Rome s’est émue. Les funérailles de Pie VIII, l’ouverture du conclave qui élut Grégoire XVI, la diplomatie des ambassadeurs, la présence et la conduite de don Miguel de Bragance à Borne, les nominations de cardinaux, les voyages du Pape, les procédés gouvernementaux et leurs effets, les mouvemens révolutionnaires, les guerres, les tremblemens de terre, les famines, les épidémies, — tout ce qui a pu être pour une intelligence naïve l’occasion d’une curiosité ou d’un jugement, pour un cœur l’objet d’un enthousiasme, pour une conscience la cause d’un scandale, figure dans ce vaste tableau : en sorte que le recueil de ces sonnets constitue un véritable document historique, au même titre