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grossiers auxquels leur égoïsme indolent laisse libre carrière, une certaine élévation dame. Ils ne connaissent que Rome. Ils n’imaginent pas qu’une autre ville puisse ressembler à celle-là : ils demandent si, à Paris, il y a un Pape, et si les maisons y ont des escaliers. Et ils savent bien, quoi qu’on leur réponde, que Rome n’est pas une ville comme les autres : elle a été fondée par Romulus et Rémus, le Pape y règne, le peuple y boit, et les étrangers y sont perpétuellement en extase. « Quel est le peuple, quel est le souverain qui a chez lui une coupole comme notre ? Saint-Pierre du Vatican ? Dans quelle nuire ville, dans quel nuire État voit-on celle illumination bénie qui te stupéfie et te fait perdre le souffle ? » Il n’y a qu’une Rome au monde ! crie le Romain qui a aperçu avec horreur à l’étalage d’un libraire un guide avec ce titre : Rome antique et moderne. « Rome antique et moderne ! Et on permet, ici, aux libraires de vendre un livre de ce nom-là ! Eh ! allez donc, bêtes de somme, pour ne pas vous donner brevet d’âmes ! Rome antique et moderne !… Mais comment ? Dans le monde il y a donc deux Romes ?… Si l’une est celle-ci, où est l’autre ? »

Un peuple si content de sa ville n’est pas tendre, d’ordinaire, pour les étrangers. Le Romain, de sa nature hospitalier, courtois, obligeant, raille volontiers ceux qui n’ont pas l’honneur d’être ses compatriotes, à commencer par les Italiens de province. Les Anglais figurent en bonne place dans ses facéties, avec leurs tics nationaux, l’audace de leur curiosité, la docilité de leur admiration et l’aveu constant de leur ignorance. Mais, au temps où Belli peignait le peuple de Rome, les étrangers les plus connus étaient les Français. Leur langue est la langue des gens du monde, des modistes et des laquais. Leur politique, depuis Napoléon, agite l’Europe, si elle ne la mène plus, et retentit redoutablement jusqu’au sein des Etuis pontificaux. Le, peuple a gardé ; le souvenir de « Napujjone. » Il a retenu des mots français : il dit grabbiolè (cabriolet), alò (allons ! ), bonè (bonnet), ssciarmante (charmant), corzè (corset), er zabbijjè (le déshabillé), etc., et, comme il emploie ainsi une vingtaine de mots, ceux qu’il ne comprend pas l’intriguent fort. La France et les Français lui inspirent une sorte d’estime respectueuse, mêlée de crainte, un intérêt très vif, mais où la sympathie cordiale n’entre guère. Il se défie de « la secte des Français jacobins, » la sella de Francesi ggiacubbini, qui se mêlent toujours de ce qui