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la Tiberina, et pendant dix ans, affranchi de la fadeur, du ton moraliste et de l’emphase déclamatoire qui régnaient dans la petite académie, il se consacre tout à l’œuvre nouvelle qu’il a conçue. Ce changement de direction poétique correspond chez Belli à un changement d’opinions qui n’y est point lié nécessairement, mais qui sans doute a contribué à aiguiser en lui la malice et le don de l’observation satirique. L’aisance rapide et l’indépendance longtemps désirée dont il jouit, quelques relations nouvelles, ses voyages, ses lectures, le disposent assez mal à l’égard de la Papauté. Il fronde volontiers le gouvernement par l’intermédiaire de ses personnages. Il semble devenu sceptique sur la religion, et il prête parfois aux Romains qu’il fait parler une verve libre-penseuse qui, autant qu’on en peut juger, ne leur est pas naturelle. Toutefois, c’est par là seulement qu’il s’introduit lui-même dans son œuvre, indirectement d’ailleurs, et à de rares intervalles. Car elle est, à la différence de tous les poèmes précédens, extraordinairement objective. Ces deux mille cent quarante-deux sonnets[1] en dialecte trastévérin, dont la plus grande partie est due à ces dix années de complète liberté, sont pleins, non pas de Belli, mais des menues aventures, des conversations, des façons d’agir, de penser et de dire du petit peuple de Rome. En monologues ou en dialogues, c’est lui seul qui s’exprime, se raconte, se dépeint, s’étale, directement et complètement. Les rires, les cris, les plaintes, les duos d’amour et les querelles, les causeries de la rue, du cabaret et de la maison, les scènes de ménage, les discussions politiques et théologiques, tous les secrets et tous les spectacles, tous les métiers, tous les types, tous les préjugés, toutes les opinions, tous les genres d’esprit et de sottise, la superstition à côté du libertinage, la polissonnerie auprès de la prière, la satire en face du désespoir, tout est là, tout se mêle et revit dans cette œuvre immense et variée, comme dans un miroir qui aurait conservé et reproduirait sans cesse le flux, les remous et les heurts d’une foule sans cesse changeante.

  1. Le nombre s’en trouvera probablement accru dès cette année. M. le professeur Pio Spezi, de Rome, se prépare à publier une cinquantaine de sonnets inédits de Belli, choisis parmi les plus décens de ceux qu’il possède.