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de Coigny, pensant ainsi, pratiqua avec Garat l’union libre. Mais c’était si peu avec une arrière-pensée de se reprendre, ou de cacher son intrigue, qu’elle alla habiter chez lui. Elle montre plus que jamais cette audace des déterminations, indifférente des suites, qui l’inspire quand elle aime et pour être plus à ce qu’elle aime. Au moment où elle refuse de se lier, elle n’hésite pas à se compromettre. Elle ne veut pas fixer son avenir par des engagemens définitifs, elle l’enchaîne par des actes irréparables. Car, cette fois, elle achève de se perdre. Par son mariage avec Montrond, elle avait descendu dans son monde : elle en sort par son commerce avec Garat. Elle se range parmi les rebelles à toute situation régulière, et se déclasse au moment où le Consulat restaurait dans les mœurs, sinon la vertu, au moins la décence.

L’homme pour qui elle sacrifie tout est-il de ceux qui tiennent lieu de tout ? Elle comptait s’associer à la vie d’un grand citoyen, soutenir le combattant de la liberté contre le despotisme : elle est à peine la compagne de Garat qu’il est destitué par le Premier Consul avec les principaux tribuns. Sa disgrâce est plus grande que son mérite. Simple déclamateur, il a emprunté les idées et voudrait plagier la forme de Rousseau, le grand maître qui a formé de si mauvais disciples. Le jour où il n’a plus à mettre en discours les lieux communs de la politique, c’en est fait de son unique talent ; il n’est plus qu’un acteur sans théâtre et, après quelques jours, personne que lui ne gémit sur son silence. Adieu la gloire ! Tant mieux, moins de temps sera volé à l’amour. Bienvenue soit l’existence étroite où l’on vivra plus près l’un de l’autre ! Mais comment, si près, ne pas se juger ? Mailla est peuple, montagnard basque, devenu robin, il sait les lois qu’on apprend dans les écoles, il ignore ces lois non écrites qui se transmettent par une tradition héréditaire, et qui, par les habitudes tout extérieures du savoir-vivre, rendent discrets les défauts, visibles les mérites, inspirent les qualités dont elles enseignent les apparences, et contribuent tant au charme de la vie intime. Aimée subit de Garat les vulgarités, le sans-gêne, les maladresses que la mauvaise ; éducation donne aux qualités même. Elle semble une statuette de Sèvres aux mains d’un rustre : non seulement les violences, mais les caresses brutales de ces doigts gourds menacent cette délicatesse qui est fragilité. Tel qu’il est, pourvu qu’il soit tout à elle, c’est assez, et elle accepte joyeusement la vie des couples gênés, emprunte,