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comme il la prend pour la marquise de Coigny, quand il déclare écrits pour elle les Mémoires de Lauzun, on a droit de croire que, s’il a confondu les deux cousines, il a pu mal distinguer entre les deux frères. Et, si son récit n’est qu’un écho incertain de quelque vantardise orale où se trompait elle-même l’incommensurable vanité du chanteur, il suffit de répondre : « Chansons que tout cela. »

Loin de ne chercher qu’une rencontre d’inconstances, Aimée apportait, dans cette nouvelle tentative, la même vocation d’obéissance, le même besoin de se rendre semblable à celui qu’elle aime. Orléaniste avec Lauzun, aristocrate avec Malmesbury, sceptique avec Montrond, la voici républicaine. Et comme, cette fois, ce n’est pas un caprice de vanité ou de désœuvrement qui la livre à un petit-maître ; comme, conduite à une même faiblesse par un sentiment moins vulgaire, elle est poussée par son dégoût d’un homme qu’elle méprise vers un homme qu’elle croit estimer, elle semble aller au désordre avec une âme neuve. Elle apporte à se perdre des scrupules de conscience et une pudeur de sentimens que ni son éducation, ni sa nature ne lui avaient donnés, que ses précédentes fantaisies ne lui avaient pas appris. La mésestime où Montrond tenait l’espèce humaine le préparait à ne subir l’infidélité ni comme une surprise, ni comme un malheur. D’ailleurs, mieux que la philosophie, nos passions calment nos passions ; il était trop joueur pour être importunément jaloux. Il ne faisait plus la cour qu’aux « beaux yeux de la cassette, » où il puisait souvent, et Aimée se laissait ruiner, indifférente à la fortune. Mais, le jour où elle écrivit à Garat : « Je suis ta vraie femme, » elle ne supporta pas la pensée d’appartenir à un autre, elle voulut, pour être tout entière au nouvel élu de son cœur, rompre le reste du lien qui l’attachait à Montrond. Le divorce fut prononcé, et c’est sous son nom d’Aimée de Coigny qu’elle allait désormais courir les hasards du cœur.

Quand le mariage a cessé d’être la transformation de l’amour en devoir par un engagement pris pour jamais envers Dieu, les contrats de fidélité temporaire passés devant une autorité tout humaine sont vides de respect et de logique. Si l’amour seul fait le devoir, on n’a point à s’engager envers un tiers à aimer : cela ne regarde que deux personnes. Et, comme elles ne sont pas maîtresses de demain, qu’il s’agisse d’aimer ou de vivre, il leur suffit d’être l’une à l’autre, sans vaines promesses. Aimée