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Consul[1]. C’est sur ce Mailla Garat que s’égara le choix d’Aimée.

Entre lui et la marquise de Condorcet une liaison existait, avouée, admise, la plus maritale des situations illégitimes. Sans doute fut pour quelque chose dans les coquetteries d’Aimée le plaisir de prendre un homme à une femme, de voler un amour connu ; c’était l’espèce de larcin qui la tentait, on le sait. Toutefois cela n’eût pas suffi pour qu’elle agréât « ce petit homme à l’air chafouin[2]. » Mais, obsédée par la laideur morale d’un bel homme, par cette pédanterie d’égoïsme qui proscrivait toute émotion comme une inintelligence, elle en était venue à croire que la plus enviable beauté de l’homme était croire, aimer, se dévouer. Garat, qui avait sans cesse à la bouche l’intérêt général, les droits du peuple, lui parut, comparé à Montrond, le représentant d’une grande cause, une manière de héros. Elle cherchait une âme, elle ne regarda pas au corps où cette âme s’était logée.

Cette psychologie semble superflue au récent biographe du chanteur Garat. M. Paul Lafond, persuadé que la nature ne prépare pas de si loin les rencontres amoureuses, a sa version, que voici. Le chanteur, dit-il, était irrésistible : contre lui, Aimée « ne songea même pas à se défendre ; » elle habitait, près de Paris, une campagne louée en commun avec Mmes de Bellegarde ; elle présenta son vainqueur à ses amies, il amena son frère ; ce fut assez pour que, peu après, le chanteur passât d’Aimée à l’une des dames de Bellegarde et pour qu’Aimée se consolât du chanteur avec le tribun. Cela est fort simple, même trop. M. Paul Lafond affirme, mais il n’apporte ni d’Aimée un aveu ; ni d’un seul contemporain un soupçon qui serait une présomption de preuve ; pas même du grand Garat un billet, ne fût-ce qu’une preuve de présomption. Bien n’est pas assez. Et comme, tantôt, un peu pressé, il jette Aimée de Coigny en prison deux années plus tôt qu’elle n’y entra, et par compensation l’enterre, plus jeune de deux ans qu’elle ne fut prise par la mort ; comme, tantôt, un peu tardif, il ajourne jusqu’après le 9 thermidor le divorce qui, dès 1793, l’avait séparée du duc de Fleury ;

  1. Thibaudeau raconte que « l’amiral Truguet défendant un jour devant le Premier Consul les idées républicaines, celui-ci avait répondu : « Tout cela est bon à dire chez Mme de Condorcet et chez Mailla Garat. » Mémoires sur le Consulat, Paris, 1826, p. 34.
  2. Souvenirs de la baronne de Vaudray.