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l’instruction. Par exemple, il n’est pas de Théodorien capable de subir l’horrible humiliation des verges, qui sont encore appliquées en Russie, tant aux femmes qu’aux hommes, en punition de certains méfaits. Généralement le délinquant a le choix entre les verges ou une amende et, presque partout, les plus vieux d’entre les paysans n’hésitent guère en pareil cas ; quelques coups sont vite reçus et on garde son argent. Mais les jeunes montrent plus de fierté, d’autant qu’ils savent que le fait d’avoir reçu les verges doit les empêcher de se marier dans l’année ; ils préfèrent payer. On n’a jamais ouï parler de verges à Théodorofka. L’école fait son œuvre, et aussi la bibliothèque, composée de manière à éclairer les intelligences et à élever les âmes. Point de fatras inutile, point de livres médiocres sous prétexte d’être moraux. En Russie, la tendance générale est contre une littérature spéciale aux enfans et au peuple ; on donne la préférence a des livres qui peuvent convenir à tous les Ages et à toutes les classes. On ne croit pas aux leçons de morale enfermées dans des histoires plus ou moins niaises. Les Récits d’un chasseur, par Tourguenef, les Années de jeunesse de Tolstoï, pour ne parler que de ces deux ouvrages connus dans toute l’Europe, charment les petits comme les grands.

Hélène prévoit le temps où, après elle, son école passera de par sa volonté aux mains du zemstvo, cet admirable gouvernement local dont la création fut un des plus grands bienfaits d’Alexandre II ; déjà, elle laisse l’hôpital du zemstvo absorber le sien, étant d’avis que nous ne devons jamais faire ce que d’autres peuvent faire aussi bien que nous. C’est une pionnière, qui ouvre le chemin sans se soucier d’accaparer la gloire, prête à léguer cette gloire à ceux qui la suivront, pourvu que le bien se fasse, et sûre que, tôt ou tard, le bien se fera. Elle peut être parfois triste, elle n’est jamais découragée. Elle pense que le progrès s’accomplit sans relâche pour l’humanité tout entière, malgré les obstacles et les apparences. Mais encore faut-il, sur tel ou tel point du globe en particulier, y aider de son mieux. Qu’il s’agisse du monde végétal, ou du monde animal, la loi de sélection est toujours le triomphe, du mieux doué. Voilà pourquoi elle cherche à développer sur une toute petite parcelle de cette immense Russie les principes, faute desquels, individus et peuples sont condamnés à périr. Nul secours ne lui vient du dehors, elle puise toute sa force en elle-même, heureuse si le don de sa vie peut