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garçon et une fille qui se recherchent, se séparent, se rejoignent, tournoyant et piétinant sans presque avancer d’un pas. Les danses d’hommes consistent en une gymnastique vraiment extraordinaire ; c’est un plié exécuté d’une seule jambe qui met le cavalier presque à genoux, tandis que son autre jambe exécute un mouvement qui le fait sauter. Dès que la jeune fille entre en scène, dame et cavalier tournent l’un autour de l’autre. Il la poursuit, elle se dérobe, feint de s’échapper, tandis que le galant déploie la vigueur de ses muscles, tantôt la main à son bonnet, le bras arrondi, tantôt les deux poings au côté. De la part de la jeune fille, ce doivent être des coquetteries pudiques, de jolis gestes pour le repousser à demi ; mais l’humble petite mariée osait à peine lever les yeux en dansant avec son mari la danse unique après laquelle, tous deux allèrent s’asseoir, pour n’en plus bouger, sous les saintes images. Cependant la maison s’emplit, on s’assoit partout, sur le lit, sur les bancs, par terre. Le dîner a eu lieu à onze heures du matin. On ne fera plus que boire, manger des gâteaux et danser dans une atmosphère étouffante, chargée de goudron et de vodka jusqu’à l’heure où les fiancés passeront derrière le poêle. Alors intervient une matrone, dont le rôle est trop délicat pour pouvoir être indiqué autrement que par une certaine analogie entre les noces russes et les noces arabes. Selon le renseignement qu’elle rapporte, un drapeau rouge ou un drapeau noir est arboré. Si c’est le drapeau rouge, les danses continuent bruyantes jusqu’au matin. Si c’est le drapeau noir, les convives se retirent en silence et parfois la maison est maculée de goudron.

Après avoir assisté à cette fête, je regarde avec plus d’intérêt que jamais une gravure du beau tableau de Makowsky, Noce de boyards, qui décore ma chambre. Les costumes de tous ces grands seigneurs, le hanap à la main, sont d’une richesse inouïe, les femmes ont l’air d’impératrices sous leurs tiares brodées de pierreries ; des paons, rôtis dans leur plumage, sont présentés à la ronde ; les solives peintes et dorées doivent être celles d’un château presque royal ; et cependant c’est le même esprit, me semble-t-il, qui animait la pauvre petite noce de Souchonassovka : au bout de la table, la fiancée tremblante de pudeur sous l’hermine et les perles, tandis que son fiancé l’embrasse, excité par les toasts et les rires, et que l’inévitable matrone lui parle à l’oreille.