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sont disposés à s’humilier devant personne, car ils ont toujours librement travaillé pour leur propre compte. On me parle d’un pope, fils de Cosaques, par exception, qui gardait dans le ministère quelques-unes des fortes qualités de sa race, conservant avec un pieux respect le sabre des ancêtres.

L’habitant de la ferme que nous rencontrons rappelle un des types athlétiques immortalisés par le maître peintre Répine. C’est un géant à trogne enluminée perdue dans du poil roux. La digne moitié de ce colosse, grosse à pleine ceinture, l’aide vigoureusement à scier le chanvre. Ce grand corps alourdi, déformé, se plie, se redresse sans paraître éprouver de fatigue. Du reste, toutes les femmes russes s’acquittent des mêmes besognes que les hommes et les approches de la maternité n’en arrêtent aucune. On en a vu accoucher dans les champs.

Notre promenade est terminée ; nous avons regagné la pépinière de Théodorofka. Un loriot, passant l’aile ouverte, fait jaillir des taillis comme un éclair d’or. Le chant du mille est délicieux ; la femelle, à l’humble plumage verdâtre, n’a qu’un cri discordant, qui provoque chez l’une de nous cette réflexion bien féministe : « Ne remarquez-vous pas que, dans l’espèce humaine seulement, la femelle se met en frais pour plaire ? C’est le contraire ailleurs, le mâle est seul à s’évertuer ; il se pare d’un brillant plumage, son chant est plein de séduction, tandis qu’elle le subjugue fatalement, sans rien de tout cela, parce qu’il ne peut se passer d’elle. La coquetterie n’est donc pas une chose aussi naturelle qu’on le pense ! »

Mes amies en donnent la preuve, avec leurs jupes qui s’arrêtent à la cheville, sur des guêtres de cuir, leurs vestes de drap tout uni et leurs cheveux coupés courts sous le béret qui seul résiste au vent ; elles ne perdent rien, il faut le dire, à être ainsi velues et leur simple costume est en parfaite harmonie avec leurs occupations, comme avec le cadre environnant. Des fanfreluches à la mode, dans la steppe, au milieu de ces haillons sordides qui sont un dernier signe de barbarie, seraient plus que déplacées.


10 septembre.

Un soldat de la garde impériale est venu chez ses parens, en permission. Je vois de près ce casque monumental qui, dans les revues et les parades, produit un si bel effet. Il est surmonté de l’aigle à deux têtes et de la couronne impériale en bronze doré.