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C’est le seul genre de propreté qui se pratique en Petite-Russie.

Mes visites au village m’ont laissé toutefois des souvenirs très agréables de beaux types et de cordial accueil.

Par exemple, la belle Praska. Sous une misérable casaque de travail, — elle pétrit le pain noir et le met au four, — elle est superbe quand même avec son énorme chevelure saupoudrée de farine et de cendre, avec ses traits grecs un peu altérés par la fatigue et les approches de la maternité. (Nous ne visitons guère de maison où il n’y ait une femme grosse ; c’est toujours le cas après la moisson.) La mauvaise fée qui force Praska à peiner, tandis que le reste de la famille s’amuse aux préparatifs d’un mariage, est sa belle-mère. Cette catégorie de marâtre n’a pas une meilleure réputation en Russie que chez nous. Ses cruelles injustices ont défrayé le plus grand nombre des récits populaires.

La belle-sœur de Praska, qui va se marier, est une grande brune bien découplée, au cou de laquelle tinte un collier eu monnaies d’argent, dont quelques-unes sont anciennes et curieuses.

Les origines mêmes de Theodorofka et la diversité des races qui ont émigré dans cette partie méridionale de la Russie expliquent que les gens ne se ressemblent guère entre eux. Les uns, très noirs, ont presque l’air de Mongols, d’autres ont la chevelure et la barbe de ce blond fauve que les Anglais nomment tawny, couleur d’écorce ou d’amadou.

Voilà une femme de quarante ans qui serait pour un peintre le plus beau des modèles : le mouchoir tordu comme un turban au-dessus de son profil sévère ; la yapaska, filée à la maison, dessinant toutes les formes d’un corps resté souple et ferme. La yapaska diffère de la platcha, en ce qu’elle est noire au lieu d’être brodée, mais, comme la platcha, elle ne tient qu’à la ceinture et s’ouvre sur la chemise à chaque pas, à chaque mouvement. Il n’y a plus que les vieilles qui la portent ; beaucoup de jeunes filles s’affublent le dimanche de robes à la mode des villes et perdent à ce déguisement le meilleur de leur beauté.


15 août.

Le jour de l’Assomption, qui devrait être jour de fête entre tous, est un jour de bataille au village. Un ennemi nous attaque qui, pour être de petite taille, n’en est pas moins redoutable. Nous sommes envahis par les chenilles. Depuis quelque temps