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reconnais à un pantalon beaucoup trop long pour lui et à la visière arrachée de sa casquette. Il fait, aidé d’un frère cadet, tout le travail des champs. Je l’ai vu conduire deux bœufs énormes dans les sillons de terre noire sans jamais se laisser distraire. Les enfans n’ont pas le temps de jouer en Petite-Russie, les garçons vont aux champs dès qu’ils peuvent marcher, les petites filles sont vouées au métier de niania, de bonne d’enfans. Avant l’école, qui leur a appris à s’amuser, ils ne savaient se reposer du travail qu’en se battant. Voilà cependant des petites filles qui jouent à la poupée, de pauvres poupées en chiffons, qu’elles fabriquent elles-mêmes. On procède au mariage des poupées, l’une d’elles étant habillée en pope avec un caftan à larges manches et de longs cheveux d’étoupe. Mais pourquoi lui a-t-on charbonné deux yeux au sommet de la tête plutôt que de les mettre à leur place naturelle ? — Pourquoi ?… La réponse est curieuse : — Parce que cette poupée est un pope et qu’un pope doit ne regarder que le ciel.

Ce n’est pas à l’école qu’on leur a enseigné cela.

Plusieurs autres maisons de date récente sont construites dans le même style que celle d’Ewdokim. Le toit s’abaisse en auvent soutenu par des poteaux, il abrite ainsi une espèce de terrasse ou plutôt de galerie extérieure un peu élevée au-dessus du sol. Ces poteaux seuil généralement peints en couleur vive. Il y a souvent aussi, sur les ais, les châssis, les volets, des ornemens rouges et bleus.

Rien de plus curieux que l’érection d’une maison de paysan : quatre pieux solides, fichés aux quatre coins et des piquets dans l’intervalle, reliés par un entrelacs de cannes. Pour préparer le mortier, les femmes, qui vaquent aux travaux de maçonnerie, creusent simplement un trou dans l’argile où elles versent de l’eau, et, au milieu de ce barbotage, elles se mettent à danser infatigablement jusqu’à ce qu’il ait acquis la consistance nécessaire. Alors elles le lancent à pleines mains ou à l’aide de pelles sur l’espèce de natte qui déjà forme les murs. En séchant, cet enduit prend la dureté de la pierre. Alors on lave la maison à la chaux, opération renouvelée tous les ans. La Petite-Russienne qui, pour sa part, n’est jamais lavée, assure-t-on, que le jour de son baptême, le jour de son mariage et sur la table mortuaire, cette femme si avare d’ablutions pour elle-même, ne cesse de blanchir et de gratter sa maison, que l’on dirait enduite de crème.