Page:Revue des Deux Mondes - 1902 - tome 8.djvu/609

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Pourquoi ne le laissez-vous pas mourir ? Il est vieux… Les vieux doivent mourir.

Elle l’aimait pourtant. Ils avaient toujours fait bon ménage ; mais une passivité qui paraît héroïque en certains cas et qui, dans d’autres, nous semble stupide parce que notre âme occidentale n’en soupçonne pas la source, une passivité issue, je suppose, du fatalisme oriental autant que d’un long héritage de résignation forcée, l’emportait chez elle sur l’affection.


13 août.

Visite au village. — Elle n’a pour moi tout son intérêt que grâce à l’infatigable obligeance de mes truchemens ordinaires qui me permet d’entrer en conversation avec les paysans. Nous commençons par requérir les services d’un homme de l’endroit que les chiens connaissent et qui d’ailleurs sache, à l’aide d’un bâton, écarter ces bêtes féroces s’il leur prenait envie de sauter sur nous. L’horreur des villages russes, c’est la bande affamée de chiens maigres, pareils à des loups qui, hargneux et montrant tous leurs crocs, aboient aux talons des chevaux, et attaquent les passans. Dûment escortées, nous pouvons sans péril parcourir les trois rues dont une, très récemment ouverte, marque un certain progrès dans les exigences et par conséquent dans la civilisation de l’habitant.

Le trait commun de tous les villages de la steppe est, avec le puits, dont l’existence a décidé de leur emplacement, les trois magasins contenant la réserve de blé pour les cas de disette. Chacun des habitans y apporte une quantité déterminée de grain. Ici la précaution semble superflue, la terre noire étant bonne nourrice, sans caprices ni défaillances, mais l’usage s’impose.

Le puits, à l’entrée du village, est toujours plus ou moins entouré de commères qui font descendre ou remonter le seau de fer-blanc. Sa construction est élémentaire : quatre poutres entrecroisées et un treuil en bois auquel s’enroule une corde.

La rue au sol noir, profondément creusé d’ornières, est irrégulièrement bordée des deux côtés de petits enclos derrière lesquels se présente d’ordinaire le pignon de la maison. Au seuil de la barrière en branches d’osier entrelacées trébuchent, pêle-mêle avec les poules, les cochons noirs et les terribles chiens qui aboient à pleine gorge, des enfans par douzaines, sans autre vêtement qu’une chemise sale et trouée d’ordinaire. L’école