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à emporter de front. » Il fit donner quelque repos aux troupes, attendant pour agir la venue du corps de Genlis.

La nuit vint, les heures s’écoulèrent, sans qu’on vît rien paraître et qu’on reçût aucune nouvelle. L’impatience de Luxembourg, son exaspération fiévreuse, croissaient de minute en minute, s’échappaient, écrit un témoin, en « imprécations violentes. » Chaque instant perdu en effet rendait l’aventure plus douteuse, en permettant au stathouder de se fortifier davantage et de retrancher ses avenues, sans compter que le jour, révélant à l’ennemi le petit nombre de nos troupes, augmenterait sa confiance et redoublerait son ardeur. Ces heures d’attente furent employées à s’informer de façon plus précise des positions de l’année assiégeante. On sut par les espions qu’elle était partagée en trois corps inégaux, le premier commandé par Guillaume d’Orange en personne, le second par le comte de Horn, le général de l’artillerie hollandaise ; le troisième, — et le plus nombreux, puisqu’il comprenait 8000 hommes, — avait pour chef le prince Frédéric de Nassau, plus connu sous le nom de M. de Zuylestein, « oncle naturel de Guillaume, » le meilleur, disait-on, des généraux de la République.

Genlis tardant toujours, Luxembourg réunit quelques officiers en conseil. Il leur exposa son dessein de marcher quand même sur Woerden et d’attaquer un des quartiers avec sa faible armée. Quelque nombreux, dit-il, que fussent ses adversaires, ils ne pourraient, sur une étroite chaussée, leur opposer un front plus large que le sien ; la valeur des soldats compenserait à coup sûr l’infériorité numérique ; il y allait d’ailleurs « du salut de la ville et de la gloire du Roi. » Tous applaudirent à ce discours. Le vicomte de Montbas, qu’on avait appelé au conseil, fit valoir l’avantage de commencer l’attaque « par le quartier du sieur de Zuylestein, » le plus proche des trois, le plus fort également et le mieux retranché, mais qui, une fois tombé, entraînerait la chute des deux autres. Zuylestein étant l’un des juges qui venaient récemment de condamner Montbas, d’aucuns, dans cet avis, soupçonnèrent une vengeance. Luxembourg s’y rangea pourtant sans s’arrêter à cette pensée et, sa décision arrêtée, prit ses dispositions en tacticien habile.

Le quartier désigné s’étendait au nord de Woerden. Une chaussée droite et praticable y conduisait du village d’Harmelen, route naturelle pour tout « secours » envoyé des parages d’Utrecht.