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un assez grand carnage[1]. Il fallut, pour les arrêter, l’ordre formel de Luxembourg : « Je n’aime point les demi-affaires, écrit-il ; et, quand c’en est une de cette nature, je ne veux point faire tuer pour rien quelques pauvres diables. Aussi leur avais-je bien dit de ne point s’engager. Mais je fus pourtant bien aise de voir la vigueur de nos gens, qui allèrent à merveille. » L’après-midi du 9 et la journée du 10 furent employées à fortifier nos positions, à étudier celles de nos adversaires, besogne mal commode, ainsi que l’explique Luxembourg : « Je vous écris de fort près des ennemis, mande-t-il à l’intendant Robert[2], sans pouvoir vous en dire des nouvelles. C’est une chose assez bizarre que celle-là, mais à laquelle il n’y a pas de notre faute ; car, par la situation du pays, il est impossible que nous puissions prendre des prisonniers : et vous le jugerez aisément quand vous saurez que ce pays dont je vous parle est inondé, que je suis posté dans la plaine, à la tête des digues par où ils peuvent venir à moi, et sur lesquelles ils ont de bonnes palissades, de distance en distance, plantées en sorte que, chassés de l’une, les coquins se retirent à l’autre, sans pouvoir être coupés par la droite ni par la gauche à cause des canaux… »

Dans la soirée du 10, on entendit une forte canonnade, qui paraissait venir de très loin, sur la gauche. Des hommes qu’on fit monter au plus haut clocher du pays virent des fumées s’élever dans la direction de Woerden, et l’on reconnut en même temps le canon de la garnison, tirant à des intervalles réguliers, comme il était convenu pour donner le signal d’alarme. Voyant qu’il avait pris le change, Luxembourg, sur l’heure même, — laissant l’armée dans ses quartiers, — partit seul, « en poste, » pour Utrecht, où l’attendaient de graves nouvelles.

Le prince d’Orange en effet, — soit par une feinte préméditée, soit, comme il est plus vraisemblable, qu’il eût jugé trop hasardeux de continuer son chemin sur Naerden, — s’était dérobé subitement, abandonnant derrière ses palissades quelques compagnies d’infanterie pour masquer sa retraite ; puis, avec le gros de ses forces, — environ 14 000 hommes, — il s’était jeté sur Woerden, qu’il espérait enlever par ce coup de surprise. Cette

  1. « Toute leur garde d’infanterie fut prise, l’officier qui la commandait tué, et la cavalerie se sauva. » (Relation manuscrite de M. de Saveuse, Archives de la Guerre, t. 279.)
  2. Lettre du 10 octobre.