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le revirement que l’on a vu plus haut ; et le transfuge, accueilli de bonne grâce, fixa bientôt sa résidence au quartier général français. Pourtant il hésitait encore à prendre ouvertement les armes. Les violences du prince d’Orange levèrent ses derniers doutes : « M. de Montbas vient de revenir, mande le 23 septembre Luxembourg à Louvois. Son arrivée ici a mis les ennemis dans une telle rage contre lui qu’ils lui ont repris tout son bien et l’ont fait vendre à vil prix, et sont sur le point de le faire afficher dans un petit tableau, comme un malfaiteur… Sa femme est à l’extrémité, et, si elle meurt, il n’a plus un sol. Ils appréhendent que, servant Sa Majesté, il ne leur nuise dans bien des choses, et ils ont raison. » Quand il vit, en effet, sa fortune confisquée, son équipage « pillé, » sa tête mise à prix, ses domestiques emprisonnés, soumis à la question, maltraités de façon barbare ; quand le « cartel » qu’il fit parvenir à ses juges fut renvoyé à Luxembourg avec une suscription « écrite par la main du bourreau[1], » Montbas, exaspéré, ne garda plus de ménagemens. Il offrit de rentrer au service de la France, de faire profiter Luxembourg de sa connaissance du pays, de sa longue expérience des chefs de l’armée hollandaise. L’offre fut acceptée ; Montbas, admis au « conseil de l’armée, » prit rang parmi l’état-major ; et l’événement ne tarda guère à justifier cette confiance audacieuse.


VI

« Les troupes que j’avais laissées en Hollande, dit Louis XIV dans le mémoire que j’ai déjà cité, désiraient ardemment de faire quelque action remarquable. Les généraux qui les commandaient en avaient encore plus d’envie ; mais il fallait que le temps leur fût favorable, et, pendant cette saison, il ne gela que peu de jours… » Aux premiers jours d’octobre, les pluies s’interrompirent un peu, et l’on sentit de part et d’autre que l’heure de l’action était proche. « Il ne s’est encore rien passé depuis hier, écrit le 7 octobre Luxembourg à Louvois, les ennemis n’ayant fait nul mouvement. Cependant mes avis sont que leurs préparatifs ne font que croître et embellir ; et l’évêque d’ici,

  1. Mémoires de Montbas, loc. cit.