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porte de la geôle. Un maréchal-ferrant, s’emparant d’un marteau, fit sauter la serrure, commença de briser les gonds. Le geôlier, terrifié, acheva d’ouvrir la porte, et la bande, se précipitant, monta tumultueusement à la chambre des prisonniers. Ils les trouvèrent assis, calmes, et regardant en face ; Jean de Witt, en manteau de velours, tenait en main l’Ecriture sainte. Le maréchal-ferrant, son lourd marteau levé, se jeta sur Corneille, cherchant à l’assommer ; mais il heurta le bois de lit, et son poing laissa tomber l’arme. Un autre, avec une demi-pique, frappa le Grand-Pensionnaire à la tempe. La blessure fut légère, bien que le sang jaillît en abondance ; et Jean de Witt, se tournant vers son agresseur : « A quoi sert tout ceci ? lui dit-il en souriant. Nous sommes innocens ; conduisez-nous où vous voudrez, et nous faites examiner. »

Sur ces mots, les deux frères s’embrassèrent tendrement et se dirent le suprême adieu ; puis, au milieu des hurlemens, tous deux suivirent le flot qui les entraînait vers la rue, dans l’intention, leur disait-on, de les mener jusqu’à l’Hôtel de Ville. Comme ils descendaient l’escalier, un soldat prit une planche massive, la lança furieusement dans le dos du Grand-Pensionnaire, qui roula au bas des degrés. Il se releva cependant, nu-tête, ensanglanté, franchit le seuil de la prison, et fit quelques pas dans la rue. À ce moment, un notaire de la ville, du nom de Soanen, l’assaillit pique en main, et lui laboura le visage. Alors seulement il voulut fuir ; mais la foule, en se resserrant, lui ferma le passage. Un coup de crosse asséné sur la nuque le fit choir sur les genoux ; il eut la force encore de lever, les mains vers le ciel et de murmurer une prière ; quand un sieur van Valen le prit par les épaules, le coucha sur le sol, lui posa son pied sur le cou et, criant à pleine voix : « Voilà le scélérat qui a trahi sa patrie ! » l’acheva à bout portant d’une balle de mousquet dans l’oreille. Son frère, qui marchait derrière lui, subit aussitôt le même sort ; quelques arquebusades l’atteignirent dans les reins ; il s’abattit à terre, et des soldats lui défoncèrent le crâne avec la crosse de leurs mousquets. Cinq heures du soir sonnaient quand prit fin cette boucherie.

Lorsque, sur le pavé rougi, ils virent les frères étendus côte à côte, les miliciens du drapeau bleu s’approchèrent rapidement, se disposèrent en demi-cercle, tirent sur les corps gisans « une salve générale, » qui les eût « réduits en poussière, » si, de leurs