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apprenons tous les jours[1] des nouvelles de la décadence du sieur de Witt, ce qui fait appréhender que la négociation que l’on pourra faire avec lui ne soit une chose fort inutile. J’attendrai néanmoins avec impatience des nouvelles de la réponse qu’il aura faite et, en cas qu’il soit encore en état que l’on puisse faire quelque chose avec lui, rien n’est plus à propos que le prétexte que vous avez trouvé pour faire venir ici son ami. » Les mauvaises nouvelles, de ce jour, se succèdent coup sur coup ; et la révolution qui s’opère à La Haye dissipe enfin toute illusion. Le prince d’Orange, vers la fin de juillet, paraît avoir pris le parti de jouer son va-tout et de brusquer les choses. Une lettre insolente et hautaine qu’il adresse au Grand-Pensionnaire annonce cette attitude et ouvre les hostilités. Jean de Witt, en effet, — fatigué de s’entendre accuser de haute trahison, — avait mis son rival en demeure de le justifier. La réponse qu’il reçut était grosse de menace : « En ce temps misérable et injurieux, je me trouve distrait par tant d’affaires, que je ne puis me soucier de l’enquête des choses passées. La justification que vous désirez de moi par votre lettre ne pourra être tirée que des actions que vous avez faites[2]. » Deux jours plus tard, le coup est plus direct ; les actes succèdent aux discours. Le frère aîné du Pensionnaire », Corneille de Witt[3], grand bailli ou ruart de Putten, tout dévoué à son frère et comme lui fougueux adversaire de la faction d’Orange, est dénoncé par un nommé Tychelaer, — sorte de barbier-chirurgien plus d’une fois condamné pour crimes, — comme l’ayant secrètement chargé d’empoisonner le stathouder. L’imputation est dénuée de toute preuve, l’accusateur digne de tout mépris. Le grand bailli n’en est pas moins arrêté, jeté en prison, et le procès s’instruit, au milieu des clameurs d’une foule exaspérée. Traité comme un criminel, soumis à la torture pendant une heure et demie, Corneille de Witt fit voir une constance admirable, et confondit son dénonciateur. Il n’en fut pas moins condamné au bannissement perpétuel et déclaré déchu de tous ses honneurs et emplois.

Conserver le pouvoir en de telles conditions parut à Jean de Witt incompatible avec sa dignité. Il se rendit, le 4 août, à la

  1. Lettre du 16 août.
  2. Lettre traduite et envoyée à Pomponne par le sieur Bernard, agent français à Utrecht. Affaires étrangères. Correspondance de Hollande, t. 92.
  3. Né à Dordrecht, le 10 juillet 1623.