Page:Revue des Deux Mondes - 1902 - tome 8.djvu/564

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

lui, ses détracteurs eux-mêmes et les plus chauds amis de la maison d’Orange sont obligés de rendre hommage aux vertus solides du « grand Jean, » à sa rare probité, à ses qualités d’homme d’Etat : « Dans ses dix-huit ans de ministère, écrit après sa mort le chevalier Temple[1], il ne s’est jamais occupé ni de ses plaisirs, ni de son bien-être, et presque point de sa fortune… C’était un homme d’une activité infatigable, d’une constance inflexible, d’un esprit net et profond, d’une intégrité sans tache. » La faute capitale de sa vie, — qui lui fut durement reprochée et finalement causa sa perte, — était d’avoir, dans ces dernières années, pour ménager les deniers de l’Etat, négligé systématiquement de fortifier les places-frontières et licencié les vieilles troupes mercenaires entretenues par la République. Mais ce fut une erreur et non une trahison ; l’unique mobile de ses actions fut toujours « sa passion ardente pour ce qu’il jugeait profitable au bien de son pays[2]. » Il apportait cette même bonne foi dans la politique extérieure. Pour lui, le vrai péril reste toujours la concurrence de la marine et du commerce anglais ; et, contre ce danger, aujourd’hui comme jadis, l’alliance française lui apparaît comme le meilleur remède, la seule garantie efficace. Aussi, malgré les querelles passagères, ne désespère-t-il pas de voir renaître et refleurir la belle union d’antan. Conclure, à des conditions acceptables, un arrangement avec le roi de France, dont on évincerait l’Angleterre, tel est le rêve qu’il poursuit sans relâche du jour de l’entrée en campagne. C’est sur ce même terrain que nous le verrons se tenir, pour engager avec le commandant de l’armée de Hollande une négociation secrète.

Quant au chef du parti guerrier, plus d’un lecteur sans doute l’a déjà pressenti ; car le nom de Guillaume d’Orange est comme inséparable du nom de Luxembourg. A tout instant de leur histoire, — et spécialement dans la période qui fait l’objet de cette étude, — la destinée les met aux prises, les oppose l’un à l’autre, donne ce duel en spectacle à l’Europe attentive ; et le rideau tombera sur cette scène vingt fois renouvelée, sans qu’acteurs ni public aient témoigné nulle lassitude. Mais si, à première vue, la partie entre eux semble égale, on ne saurait en dire autant de la chance des deux adversaires. Toujours, malgré

  1. Lettre traduite de l’anglais et envoyée à Pomponne par un agent français. — Affaires étrangères. Correspondance de Hollande, supplément t. 5.
  2. Ibid.