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retirer les troupes de certains postes éloignés, de tenir autant que possible le gros de ses forces sous la main, et de veiller avant toute chose que « l’année demeure en état, ou de profiter des jours qui se pourront trouver d’entrer plus avant durant la belle saison, ou d’attendre les gelées[1]. » Ces recommandations faites, le Roi marcha d’abord vers Bois-le-Duc, bientôt après vers la frontière de France ; et, le 1er août au soir, il s’installait à Saint-Germain, laissant ses généraux terminer sans lui la campagne.

C’est dans la ville d’Utrecht que le duc établit son quartier général. Construite sur le Vieux-Rhin, à la pointe d’un triangle dont Amsterdam et La Haye peuvent figurer la base, dans le centre d’une plaine élevée qui protège ses abords contre l’inondation, Utrecht tirait de cette situation spéciale une grande valeur au point de vue militaire. Dès le mois de juin, le comte d’Estrades, notre ambassadeur à Bruxelles, dans une dépêche au Roi, en signalait le prix exceptionnel : « Lorsque le Roi, disait-il[2], sera maître d’Utrecht, il pourra abolir la République et faire en deux mois ce que toutes les puissances du monde n’arriveraient pas à faire ensemble. » Louvois, un peu plus tard, écrit à Luxembourg presque dans les mêmes termes : « Pourvu que le Roi garde Utrecht pendant cet hiver, il est maître de la Hollande. » La grande affaire, aux yeux de Louvois et du Roi, est de calmer l’ardeur de Luxembourg, de modérer son désir ambitieux de prendre l’offensive et de se signaler par quelque coup d’éclat. « Je vous répète encore, lui mande le ministre, sur ce que vous proposez de faire quelque entreprise, que la meilleure et la plus avantageuse de toutes est de bien conserver Utrecht et que, pourvu que cela soit, les Hollandais sont perdus cet hiver… Oubliez toute autre entreprise, et ne songez qu’à bien conserver les troupes qui sont sous votre commandement, pour donner une bataille à la suédoise, entre Noël et la Chandeleur[3]. » Force fut de se résigner à « servir le Roi à sa mode. » Le général du corps d’occupation se renferma donc, au début, dans ses fonctions de gouverneur, d’administrateur général des territoires conquis, auxquelles vint bientôt s’ajouter l’emploi plus difficile de négociateur.

  1. Note du 16 juillet 1672. Affaires étrangères. Correspondance de Hollande, t. 92.
  2. Lettre du 18 juin. Affaires étrangères. Correspondance de Hollande, t. 92.
  3. 31 août 1672.