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Peut-être. Les héros obscurs sont nombreux parmi les soldats de la foi. Pourtant, s’il se rencontrait parmi eux quelque saint Boniface, aussi grand convertisseur que profond politique, sa modestie ne suffirait pas à voiler sa gloire. Qui ignore le nom d’un Lavigerie, bien qu’il n’ait jamais quitté la côte ? L’équitable renommée lui a même tenu compte de ses grands desseins comme s’ils étaient des actes.

Mais les Lavigerie sont rares. Leur influence est éphémère. La plupart des Pères qui évangélisent l’Afrique pratiquent un apostolat, en quelque sorte, sédentaire : ils s’installent, comme de bons bergers, au centre de leur troupeau. Ils exercent autour d’eux une action bienfaisante et limitée. Ce sont des chapelles et des fermes modèles répandues çà et là comme des îlots sur un océan de barbarie. On attend patiemment que les îlots se rejoignent et se soudent les uns aux autres par une sorte de mystérieuse attraction. Cependant l’Islam, moins timide et moins scrupuleux, avance à pas de géant derrière les marchands d’esclaves et les chasseurs d’ivoire. Où il a passé, la Croix perd son pouvoir. Il n’y a presque pas d’exemple d’une population musulmane reconquise au christianisme. Et si l’on pouvait noter sur une carte la marche des deux religions, l’avantage ne serait pas pour la nôtre.

Il y a, de cette inégalité, une cause qui est tout à l’honneur de la religion chrétienne : sa supériorité même la rend plus difficilement communicable. La morale de l’Islam est peu exigeante. Pourvu que le « vrai croyant » fasse les trois prières par jour et invoque régulièrement le nom d’Allah, on le tient quitte du reste. Il peut garder ses femmes et se croiser les bras. Cela est assurément fort commode. De plus, la fraternité musulmane a des complaisances que nous ne pouvons pratiquer. Elle accueille les gens de couleur et mêle le sang des races avec un magnifique dédain des conséquences. Notre religion défend, avec la pureté de la race, la dignité du blanc. Ce sont des scrupules encombrans, mais nécessaires.

Et pourtant, quand on y regarde de près, ne pourrait-on pas, sans rien sacrifier de l’essence même de cette noble religion, l’accommoder davantage aux têtes crépues ? A Carthage, dans la maison des Pères Blancs, la classe de théologie tient une place énorme : ont-ils besoin, ces vaillans petits Pères, de traîner après eux tout Saint Thomas d’Aquin ? Comme ils ont