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tous les peuples des bords de la Méditerranée : il les conquit promptement. Lorsque l’empire devint chrétien, on put s’imaginer que l’unité religieuse achevait l’unité politique.

Il en fut pourtant tout autrement. Certes, la force expansive du christianisme était presque indéfinie. Il offrait, sur les religions antiques, cet avantage d’échapper à la servitude des cultes locaux, de planer au-dessus des acropoles, et de pouvoir se transporter facilement partout où un chrétien planterait une croix. Ce fut plus tard une des forces de l’Europe nouvelle. Mais le premier effet fut d’ébranler les bases étroites sur lesquelles reposait l’empire, et d’affaiblir sa résistance contre les barbares. Comment demander à des âmes qui venaient de découvrir l’éternité de s’intéresser à cet établissement passager ? Comment retenir sur terre des hommes qui couraient à la mort pour coloniser le monde invisible ?

Ce premier feu d’enthousiasme devait peu à peu se refroidir. Ce qui fut plus grave, c’est la transformation du christianisme en religion d’Etat. On renonçait à cette large tolérance que la sagesse de Rome avait longtemps pratiquée à l’égard des cultes étrangers. Or, on peut construire un vaste empire avec les races les plus diverses, quand on leur demande seulement d’obéir. Mais, lorsqu’on exige qu’elles croient, les dissentimens éclatent.

Le premier craquement de l’édifice se fit par les hérésies ; elles mirent à nu l’opposition du génie grec et du génie latin, que le ciment romain avait fondus ensemble. Le second craquement, plus formidable encore, se produisit à l’apparition de l’Islam, dont les conquêtes foudroyantes enlevèrent à la chrétienté toute l’Asie antérieure, l’Afrique et les trois quarts de l’Espagne.

On vit alors la question de race prendre une importance qu’elle n’avait pas dans l’antiquité, et qui devait être la source de nos plus grandes difficultés, sans doute parce que la religion, touchant au fond intime de l’être, varie avec les caractères essentiels des races. Les peuples de l’Asie et de l’Afrique se rallièrent aisément à des conceptions religieuses qui anéantissent l’homme devant Dieu. Au contraire, notre religion plus humaine, avec ses commandemens précis, sa double hiérarchie, l’une visible et l’autre invisible, et la place considérable qu’elle accorde à l’individu, s’empara de ces peuples du Nord, qui avaient une parenté lointaine avec les Latins, une imagination ardente