Page:Revue des Deux Mondes - 1902 - tome 8.djvu/479

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Times a donné le récit de cette conspiration dont on sent bien tout l'odieux. Les journaux du continent européen ne disaient rien, sans doute parce qu'ils ne savaient rien, leurs gouvernemens dédaignant de se défendre : et de ce silence général le Times tirait un argument nouveau, en l'interprétant comme un aveu. Ils se taisent, disait-il, donc ils se reconnaissent coupables ! Subitement, l'empereur Guillaume a perdu patience. Son frère était sur le point de partir pour l'Amérique, et il importait que rien ne vînt gêner à son égard les démonstrations de l'enthousiasme populaire. Un beau jour, le Moniteur de l'Empire a publié la dépêche que l'ambassadeur d'Allemagne à Washington, M. de Holleben, avait adressée à son gouvernement sur l'incident du mois d'avril 1898. A la surprise générale, on y a appris que les ambassadeurs des puissances s'étaient en effet réunis, mais qu'ils l'avaient fait chez l'ambassadeur d'Angleterre, sur sa convocation directe, et que c'était lui-même, lord Pauncefote, qui avait présenté le projet de note que ses collègues et lui devaient envoyer à leurs gouvernemens. M. de Holleben ajoutait que, pour son compte, il n'avait pas approuvé cette démarche et qu'il déconseillait à son gouvernement d'y donner suite, - en quoi on l'avait approuvé à Berlin. Cette révélation a changé complètement l'état des choses. Le Times a été obligé de se défendre. Il a expliqué que l'initiative prise par lord Pauncefote ne prouvait rien, parce que l'ambassadeur anglais, étant le doyen, du corps diplomatique, devait naturellement réunir ses collègues lorsqu'il y avait lieu de causer sur un objet d'intérêt commun. Il a ajouté, ou insinué, que le projet de note était de l'ambassadeur d'Autriche, et qu'il avait été corrigé par l'ambassadeur de France. Mais, toujours implacable, le Moniteur de l'Empire l'a publié tel qu'il était sorti des propres mains de lord Pauncefote. Une question a été posée à ce sujet à la Chambre des communes. Lord Cranborne a quelque peu désavoué lord Pauncefote, en disant qu'il avait agi sans instructions et d'après son sentiment personnel. Quant à nous, nous ne trouvons pas ce diplomate si coupable. La démarche qu'il avait suggérée était très amicale envers le gouvernement américain. Elle avait bien pour objet d'éviter la guerre, si cela était possible, mais sans exercer aucune pression désobligeante; elle pouvait être peu discrète, mais n'avait rien de comminatoire. En tout cas, la proposition en avait bien été faite par lui; le fait était indéniable et n'était pas nié. Que devenait la thèse du Times? Le journal de la Cité n'a eu qu'une ressource, qui a été de protester contre la méchanceté humaine : il était évident pour lui qu'on voulait brouiller l'Amérique et