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padouan n'avait certainement jamais vues, et dont son oeuvre nous apporte cependant un fidèle écho. L'esprit qui anime son Parnasse est celui-là même qui nous rend à jamais délicieux les fragmens de la frise des Panathénées. C'est que, à force de réfléchir sur son art et de le pratiquer, Mantegna a deviné ce qu'avait jadis compris sans effort le clair génie de Phidias : que l'objet suprême de l'art n'est ni la science, ni la vérité, mais cette mystérieuse musique des choses qu'on nomme la beauté.

Le même souci de beauté se retrouve dans toutes les dernières ouvres de Mantegna, dans ses Vierges des musées de Turin et de Londres, dans cette Sainte Famille du musée de Dresde, qui fait songer aux plus parfaites peintures de Raphaël, avec une grâce encore plus pure, peut-être, et plus nuancée. Autant les oeuvres précédentes du maître sont rudes souvent dans leur robustesse, autant celles-là ne sont plus que douceur. Elles ne correspondent plus, dans l'évolution historique de l'art italien, à Giotto, comme le triptyque de Vérone, ni à Masaccio, comme les fresques de Mantoue, mais bien à l'oeuvre reposée et sereine des grands artistes du début du XVIe siècle, Raphaël et Fra Bartolomeo, Giorgione, surtout Corrège, qui, d'ailleurs, va tout de suite imiter et continuer l'art de Mantegna. En cinquante ans, le génie de Mantegna a fait le même chemin qu'a fait en deux siècles la peinture italienne.

Et telle est la différence de cette dernière manière du vieux peintre avec les deux autres qu'on ne peut s'empêcher d'imaginer que quelque chose a dû se passer, dans sa vie, qui, en rajeunissant son coeur lui a ouvert les yeux à un nouvel idéal. C'est devant des cas de ce genre que l'on aimerait à trouver, dans la biographie des grands hommes, ne fût-ce qu'un point de départ à des hypothèses. Malheureusement la biographie de Mantegna nous est fort peu connue, en dépit des savantes recherches des historiens, et de M. Kristeller en particulier. Nous savons que le vieux maître demeurait à Mantoue; qu'il s'y était fait construire une maison; qu'il était en grande estime auprès des Gonzague, et que, tout en gagnant beaucoup d'argent, il s'est trouvé maintes fois fort embarrassé. Il avait formé, dans sa maison, une petite collection d'antiquités, et ce fut pour lui un énorme chagrin d'avoir à se défaire d'un buste de Faustine, qui lui fut acheté par Isabelle d'Este. Mais peut-être y a-t-il, parmi tous ces mêmes faits, un détail d'une signification plus suggestive encore, et se rapportant de plus près au problème psychologique qui nous intéresse.

Le testament de Mantegna et plusieurs autres documens nous révèlent,