Page:Revue des Deux Mondes - 1902 - tome 8.djvu/466

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qu'il a sous les yeux. Être aussi savant que possible, et montrer qu'on l'est : tel est l'idéal que traduisent manifestement ces premières couvres du jeune Mantegna.

Voici maintenant les fresques de Mantoue. La science y reste toujours merveilleuse, mais elle n'y joue plus le rôle principal. Pour nous représenter ces princes et leur suite, assis ou debout en des poses familières, Mantegna ne se met plus en quête de perspectives bizarres, de raccourcis difficiles, ni d'expressions forcées. Seul le plafond, avec les célèbres figures au balcon, nous garde encore le souvenir de ses anciens tours de force; mais, sur les murs, le peintre n'a plus d'autre préoccupation que de figurer des êtres vivans, avec le plus de vérité possible. Et il y parvient d'emblée, comme à tout ce qu'il veut : car M. Kristeller a bien raison de dire que ces fresques de Mantoue sont l'œuvre la plus réaliste de toute la peinture. Réaliste, oui; mais toujours à la façon de l'antique, ou, en tout cas, sous l'inspiration directe de l'antique. La vie qu'on y trouve est simple, calme, immobile, comme celle de certains portraits d'empereurs romains. Après lui avoir appris à placer l'objet de l'art dans la science et l'adresse, l'art antique, maintenant, instruit Mantegna à le placer tout entier dans la « vérité. »

Et ce ne sont point là des hypothèses arbitraires. Que l'on compare aux fresques de Mantoue le triptyque du musée des Offices, ou encore le Triomphe de César, deux oeuvres que nous savons dater de la même époque ! Sous la différence des sujets, et, par suite, des styles, l'idéal artistique y est exactement pareil à celui des fresques du Château de Mantoue. La science et l'émotion, Mantegna sacrifie tout à la vérité pittoresque : il veut que ses personnages vivent, que leur groupement paraisse réel, que leurs attitudes s'harmonisent avec le décor où nous les voyons. Chacune dans un genre différent, ces deux oeuvres sont, elles aussi, des merveilles d'un réalisme vigoureux et simple.

Franchissons de nouveau une vingtaine d'années, et regardons, au Louvre, la Vierge de la Victoire ou encore le Parnasse! Je ne dirai point que toute la science de Mantegna a désormais disparu ; mais certes, ni au point de vue de la science, ni à celui de la vérité, ces oeuvres de la dernière manière de Mantegna n'égalent la maîtrise des oeuvres précédentes. Sont-elles, en revanche, plus directement imitées de l'antique, comme parait le croire M. Kristeller? Leur forme, en tout cas, est infiniment moins antique que celle de la Crucifixion qui les avoisine. Mais c'est leur esprit que nous sentons être, plus profondément imprégné de l'esprit antique, et non plus de celui des oeuvres romaines, mais de l'esprit d'oeuvres grecques que le vieux peintre