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de chacun des chapitres, il insiste sur les événemens historiques contemporains des oeuvres dont il va nous parler; ou bien encore, à propos des allégories, il se lance dans des hypothèses assez fantaisistes sur les sentimens religieux des artistes italiens, et de Mantegna en particulier. Tout cela donne à son livre l'apparence d'un recueil d'études diverses, réunies après coup. Et ni la figure de Mantegna, ni surtout l'originalité de son oeuvre, ne se dégagent pour nous avec un peu de netteté, parmi cette longue suite de descriptions et de dissertations que n'anime point l'unité d'un plan préconçu. Nous apprenons, de page en page, une foule de particularités intéressantes sur Mantegna et ses contemporains; nous achevons de connaître ce que nous révèle déjà l'illustration du livre sur les sujets des peintures du vieux maître et sur leurs qualités ; mais l'espèce d'homme qu'était Mantegna, et la véritable nouveauté de son art, et les progrès qu'il y a faits d'un bout à l'autre de sa longue carrière, et l'action qu'il a exercée autour de lui et après lui, voilà autant de choses qu'il nous importerait avant tout de savoir et sur lesquelles le patient et scrupuleux travail de M. Kristeller ne parvient que très imparfaitement à nous renseigner. Ou plutôt son travail nous fournit bien tous les matériaux nécessaires pour nous renseigner là-dessus très suffisamment; mais, de ces matériaux, lui-même s'est trouvé hors d'état de tirer tout le parti qu'il aurait dû en tirer, et cela par la seule faute d'une méthode vague, rudimentaire, amorphe, qui lui est commune avec la plupart de ses confrères allemands.

Je me trompe néanmoins en disant que M. Kristeller ne nous renseigne pas sur les progrès accomplis par Mantegna dans la pratique de son art. Pas une fois, au contraire, il ne manque à nous signaler en détail tous les changemens qu'il découvre chez lui, d'une oeuvre à l'autre, sous le rapport de la perspective et du modelé, du dessin et de la couleur. Et peut-être même se fait-il parfois illusion sur l'importance de ces changemens : car je crois bien que, au point de vue du « métier, » Mantegna n'a jamais proprement « progressé, » ayant atteint dès le début à la perfection. Les fresques de Padoue et le polyptyque du Musée Brera à Milan, ses premières oeuvres connues, égalent en maîtrise technique tout ce qu'il devait faire par la suite; et, pour nous en tenir au Louvre, qui donc aurait le courage d'affirmer que la Crucifixion reste au-dessous de la Vierge de la Victoire en tant que peinture? Par un merveilleux privilège, Mantegna a transporté dans des styles divers une égale perfection. Mais d'année en année, durant sa longue vie, il a modifié son style, ou plutôt sa conception de l'idéal