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maître de Mantegna. Il nous présente d'abord les artistes fameux qui se trouvaient alors à Padoue ou aux environs Giovanni Bellini, Philippo Lippi l'aîné et Paolo Ucello, le sculpteur Donatello. Après quoi il ajoute, avec une ingénuité qui a quelque chose de touchant « Comment ne pas s'étonner que, dans ces conditions, et étant donné un tel milieu artistique, on ait eu l'idée de chercher parmi les peintres padouans un maître de Mantegna? Est-ce que ce milieu, à lui seul, ne doit pas avoir suffi pour montrer la voie à son génie artistique? N'est-ce point folie de supposer que, à côté de forces comme celles-là, d'autres influences plus faibles aient pu agir sur lui si peu que ce soit? Et cependant la tradition, sans tenir compte de ces argumens décisifs, s'obstine à désigner Squarcione comme le maître de Mantegna 1 » Puis, à cette démonstration a priori, que je crains qu'on ne parvienne guère à trouver « décisive, » M. Kristeller joint une démonstration d'un ordre plus direct. Squarcione, d'après lui, ne saurait avoir été le maître de Mantegna, parce que les deux seuls tableaux authentiques qui nous restent de lui (au musée de Padoue et au musée de Berlin) sont des oeuvres tout à fait médiocres, infiniment au-dessous des premières oeuvres du jeune Mantegna.

Et cela est vrai. Aucun doute ne saurait être émis sur ce point. Incontestablement Squarcione, à en juger par ces deux peintures, n'était pas « le plus habile peintre du monde ; » et il y a très loin de ces deux tableaux aux premières oeuvres qui nous soient restées de Mantegna, oeuvres postérieures, du reste, à l'année 1450, c'est-à-dire peintes déjà par un homme de vingt ans. Mais que l'on compare, de la même façon, les Vierges florentines de Raphaël aux Vierges du Pérugin, les premiers tableaux de Rubens à ceux d'Othon van Veen, et, en général, les premières oeuvres d'un élève de génie avec les oeuvres de ses professeurs!

L'argument n'aurait de poids que si la peinture de Squarcione différait absolument de celle de Mantegna au point de vue des tendances et du style. Or, l'un des deux tableaux en question, celui de Padoue, en dépit de sa monstrueuse laideur, est exactement inspiré des mêmes principes que les Quatre Évangélistes de la chapelle des Eremitani, et, en somme, que toutes les premières oeuvres du jeune Mantegna. Et puis, si ces deux tableaux sont, en effet, les seules ouvres authentiques qui nous restent de Squarcione, les musées locaux des petites villes du nord-est de l'Italie sont remplis de tableaux qui ressemblent à ceux-là, qui sortent évidemment du même atelier; et qui achèvent de nous faire connaître ce qu'était l'art des peintres