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Marc Zoppo, de Bario de Trévise, et du Padouan Nicolas Pizzolo. Lors donc qu'Andrea, à peine âgé de dix-huit ans, eut peint le tableau du maître-autel de Sainte-Sophie de Padoue, peinture qui semblait l'oeuvre d'un vieux maître expérimenté plutôt que d'un jeune homme, Squarcione lui transmit la commande qu'il venait de recevoir de peindre à fresque la chapelle de Saint-Christophe, dans l'église des Frères Ermites de Saint-Augustin. Et Andrea y peignit d'abord les quatre Évangélistes, qui furent tenus pour une œuvre fort belle. Là-dessus, comme il commençait à donner de grandes espérances, le peintre vénitien Jacopo Bellini, concurrent de Squarcione, fit en sorte que le jeune homme prît pour femme une de ses filles, soeur des fameux peintres Gentile et Giovanni Bellini. Ce qu'apprenant, Squarcione fut si fâché contre Andrea que, depuis lors, ils devinrent ennemis pour toujours. Et Squarcione se mit à blâmer publiquement les histoires qu'Andrea venait de peindre dans ladite chapelle de Saint-Christophe, déclarant qu'Andrea y avait trop imité les choses de marbre antiques, et donné par là à ses figures la dureté de la pierre, au lieu de la tendre douceur des chairs naturelles. Et ces blâmes indignèrent Andrea; mais, d'autre part, ils lui furent à profit, car, se rendant compte qu'ils étaient vrais en grande partie, il se mit davantage à peindre d'après les personnes vivantes, et y acquit tant d'adresse que, dans l'histoire qui lui restait à peindre sur les, murs de la chapelle, il prouva qu'il n'excellait pas moins à tirer parti de l'étude de la nature que de l'étude des chefs-d'oeuvre de l'art.


Ce récit de Vasari concorde entièrement avec le témoignage d'autres chroniqueurs contemporains. Nous savons en outre, de la façon la plus positive, que Mantegna a peint en 1448, à l'âge de dix-sept ans, le maître-autel de l'église Sainte-Sophie, qu'il a peint ensuite la chapelle de Saint-Christophe dans l'église des Frères Ermites, qu'il a épousé la fille de Jacopo Bellini, et qu'il s'est fâché avec François Squarcione ; nous avons même les pièces d'un procès intenté par lui, plus tard, à son ancien maître pour s'émanciper de la dépendance où il était vis-à-vis de lui. Et il n'y a personne qui, voyant à Padoue les merveilleuses fresques du jeune Mantegna, ne soit aussitôt frappé de la différence de celles qui représentent la passion de Saint Jacques et de celles, - malheureusement fort endommagées, - où était figuré le martyre de Saint Christophe. Magnifiques toutes deux d'expression et de couleur, l'histoire de Saint-Jacques paraît peinte d'après des statues antiques, et l'histoire de Saint Christophe d'après des modèles vivans.

Tout semble donc se rencontrer pour nous rendre particulièrement digne de foi le récit du biographe arétin. Mais c'est à quoi M. Kristeller ne saurait consentir. Et il emploie, au début de son livre, une vingtaine de pages à nous prouver que Squarcione n'a jamais été le