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surveillance, d’autant que, par son récent mariage avec la fille du despote d’Épire, la belle, princesse Thamar ou Hélène, Manfred était devenu plus dangereux encore pour les Grecs. Des ambassades inutiles furent échangées pour traiter de la délivrance de la malheureuse basilissa.

Enfin, Michel, quelque peu revenu à lui, se décida, pour tenter de guérir, à éloigner de ses yeux l’objet de son amour. Une occasion excellente se présentait. Les troupes du despote Michel Il d’Épire, beau-père et allié du roi Manfred, en guerre avec le Paléologue, avaient fait prisonnier un des principaux lieutenans de celui-ci, le césar Alexis Stratigopoulos, célèbre par la part prépondérante qu’il avait prise à la récente conquête de Constantinople par les Grecs. Le despote envoya l’illustre vaincu en présent à Manfred en Sicile, et celui-ci put enfin l’échanger contre sa sueur, la captive de Nicée, dont il avait si souvent en vain sollicité le renvoi. C’est ainsi que cette pauvre princesse tant ballottée par l’adversité put enfin rejoindre la terre natale, dans le cours de l’an 1263. Les chroniqueurs, se bornant à cette sèche indication, ne disent pas autre chose.

Hélas ! la basilissa errante n’était pas au bout des aventures de sa douloureuse existence. Après deux ans à peine d’un séjour agité auprès de son frère, elle dut fuir encore ! Cette fois, ce fut à l’occasion de l’invasion formidable du royaume de Naples par l’armée de Charles d’Anjou. À l’arrivée des Français, durant que son mari le roi Manfred s’apprêtait à les combattre, la pieuse reine Hélène. cette figure si noble et si touchante, accompagnée de ses enfans, très certainement aussi de sa belle-sœur, la bonne impératrice Constance, se réfugia dans la citadelle fameuse de Lucera dei Saraceni ou dei Pagani, réputée imprenable. Ce fut pour tous ces innocens le commencement d’une agonie sans nom. La fureur religieuse des envahisseurs, ces nouveaux croisés d’Occident, était extrême. La reine Hélène vécut dans cette sombre forteresse des journées d’angoisse abominable. Ce fut là qu’elle reçut la terrible nouvelle de la défaite de son mari, le roi Manfred, le 26 février de l’an 1266, à la bataille de Bénévent. Ce fut là aussi que se réfugièrent au premier, instant la plupart des fuyards de cette néfaste journée. Après un moment de stupeur, le péril de ses fils rendit courage à la jeune reine, mais tous l’abandonnaient déjà. La célèbre garnison sarrasine même de Lucera était ébranlée.