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avait plus de chaleur de la part de la famille royale, des personnages de la cour et des membres du gouvernement. Là, ce n’est pas seulement l’orgueil qui était flatté. On attendait du voyage des résultats effectifs et pratiques, la solution des difficultés diverses qui s’élevaient entre les deux pays. Le Roi y voyait la consolidation de sa dynastie, le ministère celle de son existence. Aussi ne négligeaient-ils rien pour convaincre la royale visiteuse et son entourage du prix qu’ils attachaient à l’amitié dont en ce moment elle leur apportait par sa présence une preuve éclatante.

Louis-Philippe, sa femme, ses enfans se prodiguaient afin de l’en convaincre, tâche relativement facile, étant. donnés les sentimens d’affection qu’elle professait pour eux et le véritable culte dont la sainte compagne du roi des Français, Marie Amélie, était l’objet de sa part. Guizot, de son côté, redoublait d’efforts pour donner une conviction analogue au ministre anglais Aberdeen. Ces deux hommes d’État, dès leur première rencontre, s’étaient sentis attirés l’un vers l’autre par la communauté des goûts, des pensées, des manières de voir, par un désir pareil de concorde et d’entente.

Les questions qui rendaient cette entente nécessaire étaient nombreuses, et quelques-unes d’une nature particulièrement délicate, comme, par exemple, le droit de visite établi au profit de l’Angleterre par les conventions de 1831, dont la France demandait la révision à l’effet de faire abolir ce droit, ou la situation de la jeune reine d’Espagne, Isabelle, maintenant en âge d’être mariée et dont les Anglais soupçonnaient le roi des Français de vouloir faire la femme d’un de ses fils, ce qu’ils jugeaient inadmissible. Il y avait en tout cela bien des causes de malentendus, bien des élémens d’irritation que, de très bonne foi, Guizot et Aberdeen s’attachaient à dissiper avec le visible souci et le ferme espoir d’y réussir. Au milieu des préoccupations d’étiquette, dans les manifestations incessantes d’un réciproque désir de se plaire, on voit éclater ces préoccupations politiques qui sont en réalité la véritable raison d’être du voyage dont la reine Victoria a pris l’initiative et qui a si fort charmé le roi Louis-Philippe. Les lettres de Guizot à Mme de Liéven nous les font en quelque sorte toucher du doigt et nous y associent en les glissant entre mille détails plus ou moins pittoresques et piquans.

Le 3 septembre, à midi, le fidèle ministre de Louis-Philippe,