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pas peur. Je tenais votre bras et j’étais heureux. Que tout ce qui se passe dans la vie extérieure est peu de chose à côté de ce qui traverse et remplit l’âme ! »


III

L’opinion publique en France, nous l’avons dit, assistait sans surexcitation à ce qui se passait à Eu. Elle n’y était pas indifférente, ne pouvant se méprendre quant aux conséquences que promettait d’avoir, au point de vue de la paix européenne, la visite de la reine d’Angleterre. Peut-être même l’orgueil national trouvait-il à cette démarche un motif de satisfaction. Mais l’expression de cette satisfaction était dépourvue d’enthousiasme. L’attitude générale témoignait du désir de répondre avec courtoisie à un bon procédé, et c’était tout. Ce que disait Guizot à la princesse de Liéven des populations normandes qui avaient accueilli la reine Victoria à son arrivée en France nous paraît décrire avec vérité les dispositions de la grande majorité des Français :

« Il faut croire à la puissance des idées justes et simples, écrivait-il. Ce pays-ci n’aime pas les Anglais. Il est normand et maritime. Le Tréport a été brûlé deux ou trois fois, et pillé je ne sais combien dans nos guerres. Rien ne serait plus facile que d’exciter une passion qui nous embarrasserait fort. On a dit, on a répété : « La reine d’Angleterre fait une politesse à notre Roi ; il faut être bien poli avec elle. » Cette idée s’est emparée du peuple et a tout surmonté : souvenirs, passions, partis politiques. Ils ont crié et ils crieront : Vive la reine ! et ils applaudissent le God Save the Queen de tout leur cœur. Il ne faudrait seulement pas le leur demander trop longtemps.

« Ce n’est pas qu’une autre idée simple et plus durable, la paix, le bien de la paix, ne soit devenue et ne devienne chaque jour très puissante. On la voit au-dessus du peuple, parmi les petits bourgeois et parmi les réfléchis, les honnêtes du peuple. Elle nous sert beaucoup en ce moment. Quand on veut avoir la paix, il ne faut pas se dire des injures et se faire la grimace. Cela aussi était compris hier de tout le monde sur cette rive de la Manche. Il y avait vraiment beaucoup de monde. »

Voilà la note juste. Elle rend exactement la physionomie de la réception faite tsar la foule à la souveraine anglaise. Il y