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hors de chez eux et ne pouvant rentrer chez eux ni l’un ni l’autre, il y aurait à rire. Pourtant je suis de l’avis du Roi. La prudence est bonne, et aussi la crainte de faire rire. Mais on ne ferait rien, si on ne savait pas courir la chance de faire rire et pleurer. Et puis, vraiment, il n’y aura lieu ni à l’un ni à l’autre. En soi, la chose me paraît simple et convenable.

« Le Prince de Joinville a un autre petit ennui. Ses deux steamers, le Pluton et l’Archimède, ne marchent pas aussi bien que le steamer de la reine, qui est un bâtiment fort léger sur lequel on a mis une énorme machine de la force de 4J0 chevaux. Il craint de ne pouvoir la suivre de Cherbourg au Tréport. La Princesse de Joinville est bien gentille, grave comme un bonnet de nuit en l’absence de son mari. Elle ne peut pas s’y habituer. Elle a quatre heures de leçon par jour, histoire, géographie, littérature, français, dessin.

À côté de ce trait sur la Princesse de Joinville, il convient de placer la jolie silhouette que, dans la même lettre, Guizot nous trace d’elle et le récit de l’incident qui lui donne l’occasion de le faire.

« Je viens d’avoir un rare honneur. J’entre dans la salle à manger. La Reine prend la Princesse de Joinville à sa droite, et me fait signe de me mettre à côté d’elle. Mme  du Rouvre, à qui je donne le bras et qui n’a pas vu le signe, me dit : « A côté de la princesse Clémentine. » Je n’en tiens compte et me mets à côté de la Princesse de Joinville.

— Mais non, non, me dit Mme  du Rouvre.

— Mais si, dit avec un peu d’impatience la Princesse de Joinville, la reine l’a dit.

— Je m’assieds donc. Mme  du Rouvre se penche vers moi et me dit :

— C’est qu’en général on ne met personne à côté d’elle ; elle ignore tant toutes choses !

« En effet je ne l’ai jamais vue qu’entre deux princes ou princesses. On a fait une exception pour moi ; la reine l’a voulu et la Princesse en avait envie. J’ai causé. Parfaitement naïve, ignorante, vive, se tenant bien droite, le ton un peu brusque, elle attendait que je lui parlasse et se tournait vers moi un peu impatientée quand j’étais quelque temps sans lui parler. À tout prendre, j’en ai reçu une impression agréable. On a trop peur de ses ignorances. »