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nomme le duc d’Osuna, que je venais de voir. M. Molé me demande s’il m’avait parlé du voyage de la reine. — Non, ce qui était vrai ; alors il dit :

— Pour mon compte, je suis enchanté de ce voyage, c’est un excellent événement. Et puis mon plaisir est double, par le dépit que cela cause à certaines gens. C’est même fort drôle.

— Comment ? qui ?

— Oh ! d’abord le faubourg Saint-Germain. Ils en crèvent ; et puis on en crève dans toutes les langues. Hier, à la soirée des Apponyi, c’était impayable. Ces pauvres diplomates ! Quand je disais à l’un d’eux, et je me suis donné le plaisir de le dire à chacun : — Ah ! bien, la reine d’Angleterre arrive, on me répondait par : — Avez-vous lu le National ? — Non, monsieur. Je ne le lis jamais. Tout ce que j’ai pu obtenir d’eux, c’était ceci :

— C’est un grand événement ; et puis ils baissaient la tête avec un air capable ; En vérité, c’est trop peu déguisé, et tous étaient comme cela. Évidemment, c’est une grande déroute, mais c’est trop le montrer.

— Vous souvenez-vous, monsieur le comte, d’une petite confidence que vous m’avez faite, il y a quelques années ? Vous me disiez : le corps diplomatique n’a pas d’esprit.

— Oh ! pour cela, c’est vrai. Eh bien ! la seule personne convenable dans le salon Apponyi était le duc de Noailles. Il me dit : — C’est un événement très important, un grand raffermissement pour la, dynastie, et je comprends que le Roi et toutes les personnes qui lui sont attachées en soient fières et contentes.

Entre ces racontars, dont Mme de Liéven se fait l’écho, c’est de celui qui concerne Molé, dont il connaît les sentimens peu. bienveillans à son endroit depuis les événemens qui ont divisé le parti conservateur, que Guizot est le plus touché. Néanmoins, dans l’opinion exprimée par l’ancien ministre quant à la visite de la reine, il voit plus encore une preuve d’esprit que l’expression d’une conviction. « Molé a de l’esprit, répond-il à son amie, je le savais. Mais l’humeur le lui ôte quelquefois. L’humeur de tous les autres m’amuse infiniment. L’enfantillage m’étonne toujours un peu. Pourquoi avoir de l’humeur, quand on ne peut et ne veut rien faire ? Soyez tranquille, je ne serai pas trop orgueilleux. Mais je vois bien tout ce que ceci vaut. »