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Il en fait part à Guizot, qui se repose au Val-Richer des fatigues de la session récemment close. Le 26 août, il lui écrit « Je vous conseille de venir au plus tard jeudi, afin que nous puissions bien nous entendre et bien causer avant la bordée. À ce moment, la princesse de Liéven réside aux environs de Versailles, au cottage de Beauséjour, où elle a pris ses quartiers d’été. C’est là qu’elle apprend la grande nouvelle. En songeant au profit qu’en retirera le ministère dont son illustre ami est l’âme et le bras, elle est ivre de satisfaction. En attendant qu’elle reçoive de lui les détails de la visite royale dont, en sa qualité de ministre des Affaires étrangères, il sera le témoin obligé, à côté du Roi, elle recueille, grâce à ses rapports avec les diplomates accrédités à Paris, et lui transmet les informations propres à lui révéler le sentiment que leur suggère la résolution de la— reine. Ce sentiment, c’est du dépit. À l’exception de, l’ambassadeur russe, M. de Kisseleff, qui entretient avec la princesse de Liéven, sa compatriote, des relations amicales et que son attachement dispose à se réjouir de ce qui la réjouit elle-même, ils sont tous ou presque tous plus ou moins mécontens.

Le représentant de l’Autriche, le comte Apponyi, dissimule à peine son humeur. Le 30 août, Mme de Liéven étant allée le voir, il l’accueille par ces mots :

— Elle vient donc, cette petite reine ! Caprice de petite fille ! Un roi n’aurait pas fait cela.

— Pourquoi donc, s’il en avait eu l’envie ? réplique la princesse piquée au vif.

— L’envie ne lui en serait pas venue.

— Possible. Ce n’en est pas moins un grand événement, qui fera beaucoup d’effet partout.

— Je ne crois pas, reprend l’ambassadeur autrichien. On dira que c’est une fantaisie de petite fille.

— Fantaisie acceptée par des ministres qui ne sont pas des petites filles.

— Oui, ils sont très plats et tremblans devant elle.

— En tous cas, voilà, parmi les souverains de l’Europe, le plus considérable peut-être et celui qui ne se dérange jamais qui vient faire visite au Roi. C’est un grand précédent.

Le comte Apponyi hausse les épaules et ricane :

— Le Roi se trompe bien s’il croit pour cela que les autres feront autrement qu’ils n’ont fait jusqu’ici. Personne ne viendra,