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de guerre ; la tentative de Boulogne ; les dires des acteurs de ces événemens et des diplomates qui cherchent à les dénouer, tels sont les élémens de la correspondance quotidienne, échangée, au cours de l’ambassade de Guizot, entre la princesse et lui. Elle y apporte de son côté les commentaires qu’elle recueille dans son salon ou dans ceux qu’elle fréquente. Guizot, en retour, lui envoie les échos de Londres en y intercalant, d’après l’exemple qu’elle-même lui donne, les témoignages de son tendre attachement. À la mi-juin, elle vient en Angleterre ; elle y reste jusqu’au commencement de septembre, goûtant u nu immense bonheur, » et rentre ensuite à Paris plus triste que lorsqu’elle en est partie, inconsolable d’être encore condamnée à vivre loin de son ami

Cependant, l’épreuve dont, en quittant l’Angleterre, elle ne pouvait encore prévoir la fin touchait à son terme. Les événemens se précipitaient, trompaient l’attente belliqueuse du ministère Thiers, l’obligeaient à se retirer et, à l’improviste, ramenaient Guizot à Paris où, quelques jours plus tard, le Roi le chargeait de former le Cabinet parvenait assez rapidement à le constituer. Le 29 octobre, sous la présidence d’apparat du maréchal Soult, il prenait effectivement possession du pouvoir, qu’il allait conserver huit années durant, c’est-à-dire jusqu’à l’heure où il en fut dépossédé par la révolution qui renversa le trône de Louis-Philippe.

Pendant ces huit années, la princesse de Liéven et Guizot ne se sont guère quittés. Ils ont alors goûté dans sa plénitude le bonheur d’un beau rêve réalisé. J’en ai décrit déjà les douceurs et les ivresses. Il n’y a pas lieu de s’y attarder plus longtemps, puisque, aussi bien, tel n’est pas l’objet de ce travail. Ce qu’il convient seulement d’en retenir, c’est que, durant cette période et plus encore dans celle qui s’écoulera depuis la chute de Guizot jusqu’à la mort de son amie, leurs lettres deviendront plus rares. Vivant maintenant tout près l’un de l’autre, ils sont dispensés de s’écrire ; on ne s’écrit pas, quand on peut se voir et se parler tous les jours, plusieurs fois par jour. Lorsque encore ils seront amenés, par des séparations accidentelles et brèves, à renouer leur correspondance, leurs lettres n’exprimeront plus au même degré la tendresse passionnée des années antérieures. Ce n’est pas qu’ils soient moins attachés l’un à l’autre, ni que leur affection ait perdu de sa force. C’est qu’elle est entrée dans