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surtout chez les Romains, se font de l’histoire. Ils la regardent avant tout comme une école de morale Tite-Live le dit expressément en tête de son grand ouvrage : « Ce qu’il y a de plus salutaire et de plus profitable dans l’étude du passé, ce sont les exemples et les leçons qu’elle nous donne. Elle nous montre, avec un éclat qui frappe tous les yeux, ce qu’il est utile de faire dans l’intérêt de l’État et dans le nôtre, et, par le spectacle des actions mauvaises et nuisibles, elle nous apprend ce qu’il faut éviter. » Salluste est moins explicite ; il se contente de dire, au commencement du Juqurtha, que : « le récit des choses du passé est fort utile. » Sur le genre de services qu’il peut rendre, il ne s’explique pas « de peur d’avoir l’air de faire l’éloge de son métier. » Mais on voit bien que, s’il avait été moins réservé, il aurait parlé comme Tite-Live. Tacite est aussi clair que possible. « Le mérite principal de l’histoire, dit-il, est de préserver les vertus de l’oubli et d’attacher aux actions et aux paroles perverses la crainte de la postérité. » Et ailleurs, d’une manière plus précise encore « Peu d’hommes distinguent par leurs propres lumières ce qui est honnête ou criminel, ce qui sert ou ce qui nuit. Les exemples d’autrui sont l’école du plus grand nombre. »

On s’est beaucoup élevé de nos jours contre cette manière de concevoir l’histoire. Rien pourtant ne me semble plus naturel. Du moment qu’on est d’accord à croire que l’étude du passé a un autre but que clé divertir les curieux, on est amené à la faire servir à l’éducation morale du présent. Le père d’Horace apprenait à son fils à se bien conduire en lui montrant, comme exemple, les petites gens du voisinage, et Horace paraît s’être bien trouvé de cette méthode. Quand l’histoire est vraie, c’est-à-dire vivante, les événemens d’autrefois nous semblent d’hier, et les personnages antiques deviennent nos contemporains. Peu à peu nous nous familiarisons avec eux ; ils sont bientôt pour nous ce qu’étaient les voisins pour le père d’Horace, et nous nous appliquons à nous-mêmes les réflexions que leur vie nous suggère. Qu’on le veuille ou non, on a bien de la peine à s’empêcher de faire de la morale avec l’histoire. Je reconnais pourtant qu’il faut y mettre quelque discrétion. Un historien trop préoccupé d’instruire pourrait être entraîné, pour rendre la leçon plus frappante, à faire ses honnêtes gens plus honnêtes et ses méchans plus méchans qu’ils ne l’étaient en réalité. Il serait bien