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doivent être précisément ceux que les autres lui reprochaient.

Ce qui est remarquable, c’est que l’Agricola ait été écrit lorsque durait encore la fièvre qui suivit la mort de Domitien. Il fallait un courage véritable pour faire entendre des paroles de sagesse et de modération au milieu de ces violences. Tacite détestait Domitien autant que personne et n’a pas épargné sa mémoire ; mais, malgré la joie qu’il éprouvait d’en être délivré, il a su se contenir et ne pas dépasser la mesure qui convenait à la dignité de son caractère. Son ami Pline ne l’a pas tout à fait imité. Il raconte avec une admirable naïveté que, quand il vit Domitien mort, il jugea que l’occasion était bonne de poursuivre les coupables, de venger les victimes et de se mettre en lumière (se proferendi). Il résolut donc de faire un coup d’éclat en attaquant à l’improviste ce même Publicius Certes dont il vient d’être question. S’il attendit quelque temps avant d’entamer l’affaire, c’est qu’il craignait que sa voix ne se perdît parmi les clameurs confuses du premier jour. Quand il pensa produire plus d’effet, il demanda au sénat qu’il lui fût permis de poursuivre devant lui le délateur d’Helvidius. La discussion fut très vive, et le consul, qui savait bien que ces querelles passionnées n’étaient pas du goût de l’empereur, s’empressa de lever la séance avant qu’on eût pris une décision. Pline n’eut donc pas la permission qu’il demandait, mais il avait obtenu ce qui était son désir le plus vif « Il s’était mis en lumière. » Tacite, qui venait d’être consul ou qui allait l’être, assista sans doute à cette scène ; je ne crois pas qu’il ait été de ceux qui, la séance finie, se jetèrent dans les bras de Pline, lui serrant les mains, l’embrassant, le comblant d’éloges ; du moins nous ne voyons pas que son nom figure parmi ceux qui prirent quelque part au débat. Il dut rester à son banc, convaincu que de tout ce mouvement dans le vide il ne sortirait aucun résultat qui fût de quelque utilité à la république.

Pendant que ses amis se fatiguaient dans des agitations stériles, il préparait deux ouvrages dont le caractère et les tendances étaient entièrement opposés, la Vie d’Agricola et les Histoires. Dans le dernier, qui devait raconter les crimes de Domitien, il se proposait d’arracher à leur torpeur les âmes déprimées par la tyrannie ; l’Agricola, au contraire, s’en prend aux gens « qui ont toujours à la bouche le nom de la liberté, » et qui s’attirent toute sorte de périls sans profit pour personne. Il veut donc en même temps ranimer les tièdes et calmer les exagérés.