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partis pour la campagne, au lieu de se rendre à la curie. Chez d’autres, l’ambition s’était éveillée : ceux qui pouvaient avoir quelque espérance d’être élus empereurs, commençaient à éprouver moins d’ardeur pour la République. En vain Cherea voulut tenter un dernier effort, ses soldats refusant de l’écouter allèrent rejoindre les troupes de Claude, et ce qui restait de sénateurs les suivit en toute hâte, chacun craignant qu’on ne lui reprochât d’être arrivé le dernier.

Cette piteuse aventure n’était pas faite pour donner des partisans à la République. Aussi, quelques années plus tard, quand Furies Camillus (un beau nom républicain) songea à débarrasserles Romains de Claude, il n’eut pas trop de peine à se faire écouter des sénateurs et des chevaliers, qu’indignaient la sottise et la cruauté du prince ; mais à peine eut-il dit un mot aux soldats « du gouvernement du sénat et du peuple » que tous l’abandonnèrent. Sous Néron, la grande conjuration de Pison ne fut qu’une coalition de haines contre un prince qui était en horreur à tous les honnêtes gens. Personne ne songea un moment à rétablir la République ; il s’agissait de remplacer un empereur par un autre. Lucain lui-même, qui était en train d’écrire la Pharsale, si pleine de sentimens républicains, ne se fit aucun scrupule de risquer sa vie pour donner un maître à Rome, et même Tacite nous dit qu’on se garda bien d’enrôler dans le complot le consul Vestinus « parce qu’on craignait qu’il n’eût trop de souci de la liberté. »

Il ne s’est donc pas formé contre les Césars un parti puissant et homogène, avec un programme fixe, des desseins arrêtés, qui vît clairement ce qu’il voulait et travaillât sans relâche à l’accomplir, mais des conjurations de hasard, des explosions momentanées de haines personnelles, qui en voulaient, à l’homme plus qu’au régime. Pour en comprendre la raison, rappelons-nous quelle était la nature de l’empire. Un parti politique se détermine non seulement par les principes qu’il professe, mais par le caractère du gouvernement qu’il combat. Si l’empire avait été une monarchie pure, l’opposition n’aurait pas manqué d’être franchement républicaine. Elle fut incertaine et indécise, parce l’empire l’était aussi et que des dehors républicains y couvraient une autorité absolue. On peut croire sans doute que, parmi ces mécontens, il s’en trouvait qui ne se contentaient pas de faire belles phrases sur la République ancienne, mais qui étaient