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rien faire, en bien comme en mal, qu’on n’y trouvât quelque occasion de le blâmer. Nous le voyons clairement dans Tacite. Du moment que les bonnes actions de ceux qui gouvernaient aussi bien que les mauvaises étaient indistinctement attaquées il était naturel qu’il y eût des mécontens sous les meilleurs princes comme sous les plus méchans. Quatre ans après la mort de Domitien, quand Trajan travaillait de toutes ses forces à guérir les maux de l’Empire, on continuait à se plaindre, et Pline se croyait obligé de dire à l’Empereur, dans une harangue solennelle : « Ne prêtez pas l’oreille à ces appréciations malveillantes, à ces murmures secrets, qui ne peuvent nuire qu’à ceux qui les écoutent. » Il n’est donc pas douteux que, jusqu’à la fin, dans le grand monde de Rome, l’habitude s’est perpétuée de taquiner le gouvernement du prince, quel qu’il fût et quoi qu’il fît.

Mais c’est peu de chose de constater qu’il y avait des mécontens sous l’Empire. On sait bien qu’il y en a toujours, et qu’aucun régime politique n’a le privilège de satisfaire tout le monde. L’important est de connaître quel était leur dessein et ce qu’ils souhaitaient qu’on mit à la place de ces princes dont ils disaient tant de mal. Il ne faut pas ici se laisser tromper par l’apparence. Comme ils avaient toujours à la bouche le nom de l’ancienne République, on pouvait croire qu’ils travaillaient à la restaurer. Mais rappelons-nous que c’était une pieuse habitude chez les Romains, presque un devoir, de faire l’éloge du bon vieux temps, et que les empereurs eux-mêmes n’y manquent pas, quoique assurément ils n’eussent aucune pensée d’y revenir. Voulons-nous savoir au juste ce qu’il faut penser de ces étalages de souvenirs et de regrets ? les faits se chargent de nous l’apprendre. Les conspirations ont été très fréquentes sous les premiers Césars, et les historiens, qui les racontent, nous disent les causes qui les ont fait naître : c’est presque toujours la haine de l’empereur, rarement la haine de l’empire[1]. Nous ne voyons guère que les conjurés aient mis en avant la promesse de rétablir le régime ancien ; ils n’auraient pas manqué de le faire, s’ils avaient cru que ce régime conservait de nombreux partisans qui pouvaient les aider dans leur entreprise. C’est à peine si, quelquefois, quand une émeute subite éclate dans les légions,

  1. Tacite dit formellement que, depuis César et Pompée, les guerres civiles n’ont plus eu d’autre motif que le choix d’un empereur : nunquam postea nisi de principatu quæsitum.