Page:Revue des Deux Mondes - 1902 - tome 8.djvu/324

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Au reproche d’avoir trop fait et d’avoir été trop entreprenant s’allie parfois, jusque dans les mêmes bouches, car l’homme est partout illogique, le reproche de s’être montré trop timide, d’avoir reculé devant les réformes nécessaires. On se fait un grief contre le gouvernement de ce qu’il n’a pas osé modifier le régime de la propriété et édicter les lois agraires attendues d’une notable partie de la population. Nous ne saurions, quant à nous, partager ce sentiment. Des lois agraires portent le trouble dans la conscience d’un peuple ; elles ne sont excusables que lorsqu’elles seules peuvent trancher des prétentions impossibles à concilier et parfois également fondées, comme dans la Russie du servage. Au lieu d’enlever leurs terres aux begs musulmans, le gouvernement de Bosnie s’est contenté de faciliter au kmet le rachat des droits de son seigneur. Des banques font, pour cela, au paysan, des avances de fonds, que les tenanciers remboursent par annuités. En outre, le gouvernement a protégé le kmet contre les injustes exigences de ses maîtres qui parfois s’installaient chez lui pour y vivre à ses dépens. Pareilles réformes valent mieux que des lois agraires qui, alors même qu’elles n’eussent pas ruiné le propriétaire musulman, lui eussent toujours paru une spoliation. Cette manière de procéder est même moins lente qu’on ne l’eût cru ; elle a augmenté, déjà, le nombre des paysans propriétaires d’environ 15 000 chefs de famille. En 1895, lors du dernier recensement, la, proportion des paysans libres était, déjà, de 46 pour 100, et l’on calcule qu’il suffira d’un demi-siècle pour convertir tous les anciens kmets en petits propriétaires. En attendant, ces tenanciers vivent sur les champs qu’ils cultivent depuis des générations, à la façon de métayers qui ne peuvent être expulsés arbitrairement. Ils restent assujettis à la tretina ; c’est-à-dire qu’ils doivent abandonner à leurs seigneurs le tiers de leurs récoltes.

D’une manière générale, le gouvernement de la Bosnie a évité les mesures violentes et les mesures radicales. Il a pris garde de révolutionner le pays. Il n’a pas voulu brusquer les habitudes locales, froisser les mœurs, bouleverser les usages. En prenant l’administration de la Bosnie, l’Autriche devait y importer des idées et des notions nouvelles, avec les méthodes européennes. Elle l’a fait avec une prudente sagesse, s’appliquant à ménager les transitions. Elle a, sous ce rapport, agi avec autrement de tact et de réserve que nous, en Algérie. Sous son