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perpétuité un gouvernement absolu et sans contrôle, surtout de la part d’un pouvoir étranger ; mais, pour que les libertés politiques, qui, même dans les pays les plus anciennement cultivés, provoquent tant de luttes stériles, servent, au lieu d’y nuire, au développement national, il faut que le peuple appelé au self-government ait appris peu à peu à se gouverner lui-même. Or, ce n’est pas se montrer injuste envers la Bosnie que de reconnaître qu’une pareille préparation lui fait peut-être, aujourd’hui, encore défaut. Le temps approche, si l’occupation austro-hongroise doit se prolonger, où les nouveaux maîtres de ces belles contrées devront, graduellement, leur faire une part dans l’administration et dans le gouvernement même du pays. Pareille évolution serait peut-être en réalité d’autant moins malaisée que la population bosniaque est moins unie, et que le pouvoir est plus fort. Si l’Autriche-Hongrie ne croit pas devoir encore accorder à ses administrés, avec une diète locale, une action directe sur la marche du gouvernement, les Bosniaques semblent au moins en droit de réclamer une part des emplois et des places dans leur propre patrie.

Le gouvernement actuel de la Bosnie-Herzégovine est un gouvernement autoritaire, ou, si l’on aime mieux, un gouvernement paternel, avec les avantages et, naturellement aussi, avec les défauts de ce mode de gouvernement. « En arrivant en Bosnie, nous avons été obligés d’en traiter les habitans comme des enfans, » me disait un haut fonctionnaire. Il eût été malaisé qu’il n’en fût pas ainsi, au lendemain de l’occupation ; toutes les franchises politiques n’eussent été, en pareil pays, qu’un trompe-l’œil.

L’Autriche-Hongrie, en prenant la place du gouvernement turc, s’est gardée de tout bouleverser. Elle s’est appliquée à ne pas froisser les habitudes du pays ; quand elle a dû modifier les institutions, elle l’a fait avec prudence, peu à peu. La première chose était d’assurer à ces provinces, déchirées par la guerre civile, une bonne administration et une bonne justice, avec une police vigilante. Le gouvernement de la Bosnie y a rapidement et complètement réussi. Administration et justice fonctionnent d’une manière régulière, aussi bien que dans les plus vieux pays de l’Europe occidentale. Chez un peuple aussi primitif, habitué à l’arbitraire des pachas et des kaïmakans, on ne pouvait songer à établir une stricte séparation des pouvoirs. C’eût été, par pédantisme, choquer les habitudes d’un pays accoutumé à trouver