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d’après les recensemens successifs du pays, en augmentation incessante. Au premier dénombrement, après l’occupation, en 1879, la population musulmane était de 448 000 âmes ; au second, en 1885, elle montait à 472 000 âmes ; au troisième et dernier, en 1895, elle atteignait le chiffre de 548 000 âmes. Cette augmentation est si rapide qu’elle fait douter de l’exactitude des premiers dénombremens. Les familles musulmanes ne se prêtent pas volontiers aux curiosités indiscrètes des recenseurs, de même qu’elles apportent peu de scrupules à la déclaration des naissances, surtout des naissances féminines qui ne flattent point l’orgueil du père. Alors même que, selon les documens officiels, la population musulmane se serait accrue d’une manière sensible, elle a cependant grandi moins vite que la population chrétienne. Cela s’explique aisément ; si restreinte qu’ait été l’émigration des mahométans, des milliers ont abandonné le pays, pendant qu’un flot d’immigrés de Croatie, de Hongrie, d’Autriche venait grossir les rangs des orthodoxes, des catholiques et des juifs. Il n’en faudrait pas davantage pour expliquer comment, en augmentant d’une façon absolue, la population musulmane a relativement baissé ; et comme, chez elle, la natalité paraît plus faible, il est probable que son importance numérique ira s’affaiblissant encore.

Mais le nombre n’est pas tout ; et, en Bosnie, comme en Herzégovine, le musulman a conservé une importance supérieure à sa force numérique. À l’Islam appartient toute l’ancienne aristocratie foncière, d’origine féodale, convertie à la foi du Prophète, au XVe siècle, pour conserver ses biens et ses privilèges. Il semble qu’un grand nombre de ces prosélytes de l’Islam professaient, avant l’invasion turque, l’hérésie des Bogomiles, secte slave, analogue à nos Albigeois, que combattaient également la papauté romaine et le patriarcat œcuménique. Qu’ils descendent ou non de ces Bogomiles ou Pauliciens, souvent en faveur près des princes de Bosnie, les anciens boyards serbes devenus des begs musulmans, sont demeurés, durant quatre siècles, les vrais maîtres du pays, sous la suzeraineté des sultans de la lointaine Stamboul. Par fanatisme ou par crainte de perdre leurs privilèges séculaires, ils refusaient d’accepter les réformes que la diplomatie ’de l’Europe arrachait au Divan. Mahmoud et Abdul Medjid les virent prendre les armes contre l’autorité de la Porte, pour ne pas subir les réformes, plus nominales pourtant