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échéance, par le jeu spontané des forces nationales, le système des alliances de l’Europe ne permet guère que cela s’accomplisse par les violences du dehors, par la guerre, et la conquête. Si donc il est bon, pour les États européens, pour la France notamdmen1, qui depuis 1859 et 1866 n’a rien à redouter de Vienne ou de Pest, de tenir les yeux ouverts sur la prochaine succession d’Autriche, il ne convient pas de s’en exagérer les difficultés ou les périls.

D’avides héritiers éventuels ont beau discuter du partage de sa succession, l’Autriche-Hongrie, en dépit de ses embarras séculaires, n’a rien d’un moribond sur le point de rendre le dernier souffle. Elle vit et elle prospère, malgré tout ; elle croît en forces et en richesses, aussi bien qu’en population. Si elle n’a pas eu la prodigieuse expansion industrielle et commerciale du nouvel Empire allemand, l’Autriche, elle aussi, a fait, depuis un tiers de siècle, sur le terrain économique, de grands et incontestables progrès. Non contente de développer à la fois ses ressources intérieures et son commerce extérieur, elle a su étendre au dehors sa sphère d’action politique, grâce aux avantages territoriaux qu’elle s’est procurés au traité de Berlin. Elle est liée aux deux plus remuans de ses voisins, par un traité d’alliance dont le renouvellement ne semble plus nécessaire à sa sécurité, et elle a conclu, en 1897, avec la Russie, occupée surtout de l’Extrême-Orient, une convention pour le maintien de la paix dans les Balkans. Aux riches provinces qu’elle a perdues, en 1859 et 1866, dans cette Italie où la nature, l’histoire et le sentiment national répugnaient également à sa domination, elle a substitué, par l’occupation de la Bosnie-Herzégovine, des pays plus proches du double centre de sa puissance, dont la nationalité, moins tranchée ou moins compacte, semble par là même peut-être moins réfractaire à sa suprématie. Écartée à la fois de l’Allemagne et de l’Italie, qu’elle avait si longtemps couvertes de l’ombre de ses ailes, la symbolique aigle aux deux têtes des Habsbourg s’est résignée à se rejeter vers l’Orient. L’Autriche est redevenue plus que jamais une des grandes puissances de l’Orient, d’autant que sa colossale rivale, la Russie, regarde moins aujourd’hui vers le Danube ou vers le Bosphore que vers l’Amour et les mers de Chine. Du côté de Vienne se tournent, avec inquiétude ou avec espérance, les petits États affranchis ou les populations encore asservies de l’Adriatique et de la mer Égée. Appelée