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Pour tous ces motifs, le traité anglo-japonais est un de ces événemens qu’il faut, suivant un vieux mot, prendre au sérieux, mais nullement au tragique. Beaucoup d’autres traités, tout aussi importans que celui-là, n’ont produit aucune des conséquences qu’en tiraient trop hâtivement les espérances des uns et les inquiétudes des autres. Nous espérons, non pas à cause de ce traité, — nous serions plutôt tenté de dire malgré lui, — que la paix ne sera pas troublée. Mais il est certain que l’alliance anglo-japonaise pèsera de son poids spécifique dans toutes les affaires d’Extrême-Orient ; et ce poids est loin d’être négligeable. L’influence des deux pays s’exercera dans le même sens, ce qui lui donnera une force incontestable. Si cette force s’exerce véritablement au profit de l’indépendance de la Chine et de la Corée, et si elle contribue à maintenir ces grands empires ouverts dans des conditions égales au commerce de toutes les puissances, aucune ne pourra s’en plaindre : leur politique commune aura seulement une garantie de plus.


Le nom de lord Rosebery s’est rencontré sous notre plume au cours de cette chronique. Le noble comte a fini par tomber du côté où il penchait si visiblement que notre seule surprise est que sa chute n’ait pas été plus rapide. Il y a longtemps qu’il n’appartient au parti libéral par aucune de ses tendances, de ses espérances ou de ses idées, et des froissemens personnels l’ont encore rendu plus libre de toute attache avec lui. Dans la longue retraite où il s’est enfermé, son esprit a naturellement évolué en sens inverse de celui où ses anciens amis continuaient de se mouvoir. Il se crée ainsi des situations fausses dont le mieux est de sortir par un acte public et loyal. C’est ce que M. Chamberlain a fait autrefois, le home rule l’ayant amené à reconnaître qu’il n’était plus d’accord avec M. Gladstone ; c’est ce que vient de faire à son tour lord Rosebery pour des motifs analogues. Depuis plusieurs années déjà il a renoncé au home rule, et l’impérialisme l’a si fortement pénétré qu’il ne se distingue plus sur ce point de M. Chamberlain lui-même. L’incompatibilité d’humeur entre lui et les libéraux était donc si profonde, et de sa part si combative, que le divorce s’imposait. Il était, avouons-le, d’une convenance douteuse de conseiller aux libéraux de « passer l’éponge sur leur ardoise, » comme lord Rosebery l’a fait dans un de ses derniers discours. Cela voulait dire que, s’ils voulaient le conserver lui-même parmi eux, ils devaient renoncer à tous leurs principes. Quelle que soit la valeur d’un homme tel que lord Rosebery, c’était de sa part se mettre à trop haut prix. Un