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le dire, qu’on ne saurait diviser ni cette carrière, ni donc cette oeuvre, en compartimens étanches ; et c’est même pour cette raison qu’en parlant de l’inspiration « épique » d’Hugo, j’ai eu soin d’indiquer ce qu’on y peut reconnaître encore de « lyrique, tout de même qu’en parlant de son « lyrisme, » j’ai tâché de montrer ce que l’intensité de la « couleur locale » y mettait, ou y promettait déjà et de prochainement « épique. » Le Rouet d’Omphale, qui fait partie des Contemplations, est déjà un morceau de la Légende des siècles, un bas-relief antique, ou un vase grec, des figures en noir sur un fond d’ocre rouge. Aussi bien ne saurait-on réduire quoi que ce soit d’humain à des lignes rigides, et moins encore qu’autre chose l’évolution toujours un peu capricieuse du génie d’un grand poète. C’est pourquoi Le Feu du Ciel, la première pièce des Orientales, est déjà de l’épopée ; mais Plein Ciel est encore une ode, et même tune ode « pindarique, » si le point de départ et le thème en est la conquête de l’espace infini par le génie de l’homme.


Calme, il monte où jamais nuage n’est monté ;
Il plane, à la hauteur de la sérénité,
Devant la vision des sphères ;
Elles sont là, faisant le mystère éclatant,
Chacune feu d’un gouffre, et toutes constatant
Les énigmes par des lumières…
Andromède étincelle, Orion resplendit,
L’essaim prodigieux des Pléiades grandit,
Sirius ouvre son cratère ;
Arcturus, oiseau d’or, scintille dans son nid,
Le Scorpion hideux fait cabrer au zénith
Le poitrail bleu du Sagittaire[1].


Cette poésie vaut bien celle des Jeux Olympiques : « L’eau est une bonne chose l… » Mais quelque mélange qu’il y ait, et quelque apparente confusion qu’il en résulte aux points de rencontre ou de passage de l’une à l’autre inspiration, ce qui n’en demeure pas moins vrai, c’est que le génie de Victor Hugo a évolué de l’Ode au Drame et du Drame à l’Épopée, ou encore, et, avec plus d’exactitude, il a évolué de l’Ode à l’Épopée par l’intermédiaire du Drame. C’est ce qui explique à la fois ce qu’il y a de successif dans l’ensemble de son œuvre, et le mouvement

  1. Comparez à cette belle pièce de Plein Ciel, le Zénith, de M. Sully Prudhomme, et surtout quelques passages de son poème du Bonheur.