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éclat des bougies et des lampes, les tatami baignés d’or et semés de coussins écarlates nous donnaient l’illusion de fouler, entre des îlots de fleurs, une moisson d’épis mûrs. Les supérieurs arrivèrent dans un froufrou de soie gris perle et les prêtres portaient des étoles plus éblouissantes et plus variées que les obi des danseuses. Alors les cloisons s’ouvrirent, et, de cette salle illuminée, nos regards plongèrent sur des profondeurs de crépuscule où les séminaristes immobiles, à genoux dans leur robe évasée, faisaient autant de stèles triangulaires et sombres. Quelle entente du décor ! Et comme avec peu de chose les Japonais jettent l’âme en de grandes rêveries ! J’entends encore un de ces bonzes, tête blanche aux yeux lointains sous leur cavité pâle, me dire : « Le bouddhisme est éternel et Rome n’est qu’un jour. » Et ces odeurs de sanctuaire, ces admirables jeux de splendeur et d’ombre, cette petite chambre que sa lumière exhaussait dans la nuit, la foule pétrifiée, tout prêtait à ces mots une mystérieuse grandeur. Et je pensais : « Voilà donc, au milieu de ’l’agitation japonaise, des hommes qui, retirés des vains phénomènes, méditent sur l’éternel ! »

Ils me détrompèrent. Leurs quarante-deux journaux, dont dix-sept pour la capitale, ne sont pas les moins ardens à prêcher et à prophétiser la palingénésie. Les bonzes militans se réforment à la fois dans tous les sens. Ils se dénoncent, se frappent d’indignité : telle association, fondée afin de purifier le sacerdoce, réclamait, en une seule province, la dégradation de deux cent vingt prêtres, l’un pour immoralité, l’autre pour condamnations judiciaires, celui-ci pour vendre de la soie, celui-là pour croire aux dieux étrangers. En même temps que le gouvernement exige d’eux un certificat d’études, il leur accorde le droit de se marier, et, sous l’ingénieux prétexte que le Bouddha ne défendait le mariage qu’à ceux dont la femme pouvait troubler la raison, comme il n’interdisait les vins trop forts qu’aux estomacs trop faibles, le grand prêtre de la secte, Hongwanji, un des pontifes de Kyôto et un des plus beaux estomacs du Japon, entretient quinze concubines et vient d’épouser la fille d’un ancien seigneur. Dans un petit théâtre de danseuses, où une débutante faisait son entrée, les gens de Kyôtô furent si enthousiasmés de sa grâce et de son joli visage qu’en bonnes ouailles, ils s’écrièrent tous : « A Hongwanji ! à Hongwanji ! » « Le spectacle que nous offrons au monde, soupirait un organe bouddhique, désole nos