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repus, bien certains qu’on ne leur reprendra pas ce qu’ils ont avalé, se tournent contre leur amphitryon et voient leur cercle se grossir de nouveaux arrivans qui demandent à boire et s’estiment volés. Il fallut qu’à l’ébahissement de ces faces menaçantes ou goguenardes, le marquis berné déclinât son nom et confessât ses titres.

Farces pitoyables, mais célèbres ! Leur triste auteur en est devenu populaire. Chaque fois que je les ai entendu conter, je ne me suis point trompé à l’accent du conteur, et la jubilation des affranchis qui éclaboussent leurs maîtres déchus suait par toutes les rides de son visage craquelé. Lorsque les Japonais seront atteints de « statuomanie, » je ne doute point qu’un jour ils ne coulent en bronze leur premier député socialiste Nakayé.

Réduite à quelques individus qui, passementés d’or, fantômes du crépuscule impérial, en brûlant de l’encens aux pieds du souverain, croient encore respirer un petit fumet de gloire, ou qui, silencieusement, comme le duc Konoyé, directeur de l’École des Nobles, s’efforcent de sauvegarder un peu de l’ancien patrimoine, l’aristocratie du Japon n’est plus d’encolure à se mesurer aux destinées du pays. Et, sans même parler des affaires véreuses où déjà quelques grands noms se sont déconsidérés, trente ans d’idées occidentales l’ont décapitée par persuasion.


II

Le singulier milieu que le salon d’un ministère japonais, quand le ministre y convie un soir, avec ses hôtes européens, le ban et l’arrière-ban de l’a société indigène ! Les lendemains de notre Révolution n’offrirent pas aux spectateurs attentifs de plus violens contrastes.

Le marquis Itô, président du Conseil, avait marié son fils à la fille d’un commerçant, et, pour clore la série des fêtes, il donnait un bal dans sa résidence officielle de Nagata-chô. Vestibule tapissé de rameaux verts, orné de sapins et de blanches cigognes ; salles immenses pavoisées des soleils rouges du drapeau japonais ; orchestre invisible sous les fleurs. Nous entrons au moment où le prince et la princesse Arisugawa, héritiers du trône si le Prince impérial venait à disparaître, dansent le quadrille d’honneur et pompeusement inclinent leur demi-divinité devant