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des Japonais d’avoir attendu pour se convertir à la civilisation occidentale que « la démocratie y coulât à pleins bords. » Seul, ajoutait-il, notre XVIIe siècle aurait pu les européaniser sans péril et sans déchirement. Par leur politesse, leur décorum, leur subordination, leur aristocratie et même leur vie familiale, ils étaient moins éloignés des contemporains de Louis XIV que des concitoyens de Lincoln. Quand, vers 1850, un naufragé américain, Mac Donald, répondant à un Japonais qui l’interrogeait sur la hiérarchie des pouvoirs aux États-Unis, lui nomma d’abord le peuple souverain, le Japonais ne le comprit pas plus que, deux siècles auparavant, ne l’eût fait un marquis de Versailles. Aujourd’hui cette réponse serait entendue des hurumaya aussi bien que des fils de daïmiô. Seulement, pour plaire aux uns, elle ne déplaît que plus aux autres. Et le spectacle de la société japonaise nous offre les contrastes d’une noblesse dont l’amour propre accepte des théories que repousse son instinct de conservation, d’une bourgeoisie qui s’en défie par routine et s’en accommode par intérêt, et d’une classe inférieure que son habitude d’obéir arme peu à peu pour l’extrême indocilité.


I

Au sommet de la société nouvelle, l’Empereur et la cour impériale forment une grande tache d’ombre. Leur vie en est le pôle mystérieux et inabordable. Que fait entre les murs de son palais ce souverain asiatique qui en sort de temps en temps sous un uniforme de général et pour une parade officielle ? Quels sont ses conseillers ? Quelle initiative prend-il au maniement des affaires ? Il reçoit le corps diplomatique suivant tous les rites du protocole. Par une innovation singulière, il célébra ses noces d’argent avec l’Impératrice, et dans les cérémonies du Palais, à la représentation des Nô et des danses anciennes, on le vit près de son auguste épouse, le buste immobile, les mains l’une sur l’autre, demeurer des heures entières sans prononcer un mot. Une Altesse européenne, après une assez longue visite, gardait de lui l’impression d’un souverain « pareil à ceux d’Europe, mais un peu fatigué. » On connaît le nom de ses concubines qui figure encore dans les vieux annuaires. On sait que l’étiquette personnifiée par des camerera mayor réglementait leurs privilèges et leurs alternances. Faut-il croire ceux qui en font un travailleur