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À travers les tableaux sombres ou joyeux de l’œuvre dantesque, passe tout un essaim de figures, portant chacune le sceau spécial de leur destinée ; elles sont aussi des symboles ayant pour objet de laisser transparaître divers aspects de la grande doctrine catholique. C’est encore ainsi que les vieux maîtres sculptaient ces statues dont nous avons évoqué le souvenir : personnifications de l’Église et de la Synagogue, par exemple, auxquelles une Sabine de Steinbach consacrait son génie ; l’Église parée de sa couronne et de son manteau royal, appuyée sur la croix, le calice à la main, d’une beauté sereine et pure, alta ed umile, selon les épithètes de la prière de saint Bernard appliquées à la Vierge Marie ; la Synagogue, alanguie dans son impuissance, et d’une grâce exquise, les yeux voilés d’un bandeau transparent, appuyée sur sa lance brisée. Comme nous les regardons, il faut regarder les héros et les héroïnes de Dante. Et pourtant, alors que l’uniformité des symboles apparaît dans la plupart des cathédrales, l’individualité du poète se révèle ici parle choix de symboles nouveaux qui lui sont propres, qui tiennent souvent à ce que sa vie privée a de plus intime.

Saint François d’Assise prêchait les oiseaux. saint Antoine de Padoue, les poissons ; les artistes des cathédrales conviaient toute la création à venir louer Dieu dans leur œuvre ; à travers la Divine Comédie, Dante nous parle souvent des animaux, il leur emprunte des comparaisons, toujours marquées au double sceau de l’observation aiguë et de la grâce achevée. Vous n’avez pas oublié cette image au IIe chant du Purgatoire : « Telles les colombes réunies pour dérober le blé ou l’ivraie, » ni cette autre, au chant XXe du Paradis : « Telle l’alouette qui s’élance dans les airs, chantant d’abord, et se tait ensuite, savourant de sa dernière note l’ultime douceur qui la rassasie, » image devant laquelle s’émerveillait Addington Symonds ; elle semble avoir, pour la subtilité, son pendant en cette vision dantesque : « Une perle sur un front blanc ne vient pas plus lentement au regard… »

De pareils traits abondent. Et Dante, par la vertu de la poésie, n’a pas seulement les animaux ou les plantes à convier. Certes, il ne saurait les oublier ; il les aime trop pour cela. Devant les petites choses, il est humble, attendri ; rappelez-vous la douceur du geste qu’il prête à Virgile pour cueillir une plante : « Mon maître posa suavement ses deux mains étendues sur l’herbe… » Les hommes du moyen âge n’avaient pas écouté vainement le