Page:Revue des Deux Mondes - 1902 - tome 8.djvu/137

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Ainsi Michel-Ange eût honoré Laurent Ghiberti, le maître des portes du Baptistère, assez belles, selon le premier, pour être les portes du Paradis !


IV

« O vaine gloire de la puissance humaine, s’était écrié Dante, comme la verdure se fane vite sur ta cime, si l’on ne touche à une époque barbare ! »

Franco de Bologne a détrôné Oderisi de Gubbio « dans cet art qui s’appelle à Paris enluminure… » « Cimabué croyait avoir le champ dans la peinture, et maintenant la voix de la Renommée célèbre Giotto, si bien que la gloire de l’autre est obscurcie. Pareillement, de l’un à l’autre Guido, la gloire du langage s’est transférée, et peut-être il en est né un troisième qui chassera l’un et l’autre du nid.

Presque tous les commentateurs s’accordent à reconnaître, en ces deux Guido, Guinicelli et Cavalcanti ; d’autres ont songé que ces vers s’accorderaient alors malaisément avec la vénération professée par Dante pour Guinicelli. Mgr Poletto, partageant cet avis, croit que Dante veut parler de Guido Guinicelli, succédant à Guido delle Colonne dans l’admiration des contemporains. Quoi qu’il en soit, Guido Cavalcanti nous apparaît comme un des personnages les plus intéressans du milieu dantesque. De quelques années plus âgé que Dante, il brilla parmi les diseurs en rime, les fidèles d’amour[1]. Il nous est représenté beau, spirituel, élégant, très savant philosophe, très ardent au sein des factions florentines. Son père avait été, dit-on, « épicurien par ignorance[2], » et passait pour irréligieux. En revanche, ce que l'on sait moins, c’est que son oncle Ildebrand était un dominicain dont on honorait l’éloquence et la vertu. Après avoir été prieur dans son ordre, il devint évêque d’Orvieto, vicaire général, à Rome, de Grégoire IX, et se retira paisiblement à Florence pour y mourir, se livrant à la prière, à l’étude, aux exercices de la charité. Sa famille était riche. On a beaucoup repété que Guido précéda Dante à l’école de Brunetto Latini ; depuis, on s’est aperçu qu’il y avait méprise sur la sorte de magistère que le

  1. Guido Cavalcanti naquit, dit-on, en 1250 ; certainement avant 1255.
  2. Voyez l’étude de M. Giulio Salvadori : Guido Cavalcanti e la poesia giovanile, et celle de P. Ercole, Guido Cavalcanti e le sue rime.