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M. Rodolfo Renier reconnaît une provenance de cette source populaire dans le fameux Dialogue de Ciullo d’Alcamo (ou Ciullo dal Camo), d’une inspiration à la fois légère et passionnée. L’œuvre plébéienne, d’une verve spontanée, amoureuse et souriante, parfois dramatique, et que la morale ne trouble guère, éclose en plein moyen âge dans l’île ensoleillée de Théocrite, eut, par sa spontanéité même, le don d’attendrir la sévérité des érudits, qui s’est alors tournée contre la littérature des pauvres troubadours. Les poètes provençaux, accueillis et favorisés à la cour des princes, avaient importé des influences en Italie, et surtout en Sicile. Ils y trouvèrent des imitateurs. En Sicile, il y eut une école de poésie aulique ou courtoise, tel est le nom distinctif attribué à cette gaie science, fleur des cours, épanouie à l’ombre des palais. M. Vittorio Cian ne lui conteste pas un certain mérite : « Une autre conséquence, non regrettable, dit-il, résulta pour nous de l’immigration de la poésie provençale, par le fait que celle-ci devint le véhicule de la courtoisie des coutumes chevaleresques ; qu’elle opéra, au moins par un effet de mode, selon la restriction piquante de Carducci, la diffusion et l’accroissement du culte de la Dame, qui joue un tel rôle dans les habitudes de cette inspiration poétique ; et qu’elle bannit quelque peu de la rudesse plébéienne demeurée dans nos usages sociaux[1]. » À cette école appartient le dialogue de Mazzeo Ricco. Y eut-il plus tard une réaction, ou seulement une évolution ? En tout cas, Dante ne craint pas d’accorder aux troubadours des éloges enthousiastes ; il introduit Arnaud Daniel dans son Purgatoire, et cela lui fournit l’occasion d’intercaler quelques vers en provençal parmi les tercets rimés en langue de si. Ce tribut payé à la langue d’oc semblerait contredire en partie les idées de réaction que l’on découvre chez les poètes du « style nouveau ; » il paraît un gage de reconnaissance et d’amour.

À l’école bolonaise, personnifiée en Guido Guinicelli, beaucoup ont attribué plus spécialement la poésie savante, et la Toscane, selon les mêmes commentateurs, aurait l’empire de la poésie amoureuse. M. Rodolfo Renier remarque avec justesse qu’ici les distinctions ne peuvent être absolues ; ces différentes poésies, quelles que fussent leurs sources, mélangeaient assez souvent leurs ondes dans les mêmes courans.

  1. Vittorio Cian, I contatti letterari italo-provenzli, Messine, 1900